L’humilité est-elle suffisante dans l’écoute de l’autre?

À l’époque où je formais les futurs écoutants pour SOS Amitié, les personnes que je suivais étaient très préoccupées par l’humilité et la gratuité. Un mot n’apparaissait jamais : « amour ». L’humilité ne peut avoir de réalité que si la connaissance de sa propre valeur coexiste avec la reconnaissance pour soi de qui on est. L’humilité véritable est un chemin d’épanouissement à condition de s’accepter au juste niveau où nous place ce que l’on est. La fausse humilité se contente du rabaissement systématique de soi sous prétexte de modestie. Mais cette définition est insuffisante car beaucoup en restent là et en tirent un diktat qui muselle l’autre – »Je suis donc tu te tais ». L’interlocuteur est ainsi sommé d’aller dans le sens de celui qui s’affirme ou de se taire. Il n’y a plus d’échange possible, plus de regard critique admissible. La relation se bloque parce qu’à sens unique.

L‘humilité sans amour n’existe pas. Encore faut-il qu’il soit large et ouvert : amour de soi, amour de l’autre, amour de ce qui est autre en soi. Et lorsque je parle d’amour, je parle de l’accueil : accueil de soi, accueil de l’autre, accueil de l’autre en soi dans les surprises permanentes qui surviennent. Il n’y a pas d’humilité sans amour et sans accueil de l’inconnu, du connu toujours partiellement inconnu et à redécouvrir sans cesse. Il n’y a pas d’amour sans humilité, sans acceptation des limites qui sont structure et colonne vertébrale, enveloppe et peau. La structure limite notre capacité de souplesse et d’adaptation (heureusement pour l’équilibre de ceux qui ont tendance à s’oublier !). L’enveloppe, en nous contenant, empêche que nous soyons partout à la fois, dans l’éparpillement ou l’émiettement.

Si nous acceptons les limites posées par structure et enveloppe, nous pourrons être dans la puissance –la capacité à pouvoir, à agir– et nous éviterons la toute-puissance et son pendant exact, la toute-impuissance. L’enveloppe oblige à canaliser ce qui vient, ce qui est là, ce qui émerge, à accepter qu’on ne peut tenir et contenir qu’un peu de tout ce qui cherche à attirer notre attention avec une égale urgence et un égal empressement. À partir du moment où l’enveloppes est une réalité incarnée pour soi, la nécessité du choix à tout moment s’impose car le contenant, par définition, est limité par sa capacité à contenir. Mais pour que le contenant ne devienne pas un alibi au refus de ce qui dérange, il doit être constamment en lien avec l’amour et l’humilité. L’être structure, l’enveloppe crée l’enracinement et l’incarnation ; le souffle surgi de l’élan vital fait le lien entre eux, les vivifie et les fait se vivifier mutuellement.