Présentation Historique
Ville universitaire, deuxième ville de la Crète avec ses 55 838 habitants, Khania a également été capitale d’un état crétois semi-autonome de 1898 à 1971, sur décision des puissances européennes qui venaient de libérer l’île et de la relier à la Grèce, avec l’aide d’Eleftherio Venizelos. Un aéroport et un port important dans la baie de Souda, toute proche contribuent à son envergure internationale actuelle. Nommée Kydonia à ses débuts, elle perpétue la vitalité de son ancêtre minoenne. En effet, elle fut une des principales villes de type « palais », à l’époque minoenne avant de subir un abandon par sa population, vers le 11ème siècle avant J.-C. . Si son site a été habité en continuité à partir du Néolithique, ce fut avec des hauts et des bas, et ce premier exemple fut suivi par d’autres. On peut dire avec certitude, qu’à partir du 9ème siècle avant J.-C., elle redevint dynamique, au point d’être, à partir d’une certaine époque, la plus puissante cité-état de la Crète orientale. À l’apogée de la Grèce classique, elle préserva âprement son territoire par des guerre constantes tout en tentant de l’élargir ou de transformer les cités voisines en vassales : certains historiens et archéologues pensent qu’il en fut ainsi d’Aptera, à un moment donné. Outre cette dernière, Kydonia fut en rivalité constante avec Falassarna et Polyrrinia avec lesquelles elle disputait la suprématie sur l’extrémité ouest de l’île et ses ports. Son importance était suffisante pour qu’Homère en fasse mention.
Pour ce qui est de sa fondation, deux récits mythiques s’opposent. Les Crétois en tiennent pour un fils de Minos. Les Grecs proposent une version où la ville aurait été fondée par Kydon, fils de Tégéates, roi d’Arcadie en Péloponnèse, qui lui-même avait fondé la ville de Tégée. Trois de ses fils seraient venus en Crète : Gortys aurait fondé Gortyne, Katré aurait fondé Kadros, (devenue Kandanos), et Kydon, Kydonia. Cette version mythologique me semble plus proche de la réalité historique, car les Arcadiens étaient considérés comme les plus anciens habitants du Péloponnèse et cela rejoindrait le fait, prouvé par les archéologues, que ces villes ont existé avant l’avènement des Minoens.
En -69, les Romains, lui conservèrent le statut de cité-état avec autorisation de frapper monnaie comme avant, ce qu’elle fit jusqu’au 3ème siècle et son rattachement à l’empire byzantin (empire romain d’Orient). Vers le septième siècle, elle amorça un déclin progressif par un repli de la population vers l’intérieur, repli dont le signe est le transfert de son évêché. Ce repli avec transfert d’évêché fut un mouve-ment général dans toute l’île et il est attesté par les nombreux toponymes de village nommés Episkopi. C’est ainsi que lors de l’arrivée des Arabo-Sarrazins, il ne subsistait de l’ancienne Kydonia qu’un faubourg appelé Lachaneas ou Alchania ou Chania. Les envahisseurs gardèrent Alchania pour sa consonance arabe et en firent Al hanim (l’auberge) tout en lui donnant un second nom Rabdh-el-Djobn (le bourg du fromage). À leur retour, les Byzantins gardèrent ce nom et fortifièrent l’ancienne acropole de Kydonia afin que soient contrées de nouvelles offensives arabes.
Après la quatrième croisade, Boniface de Montferrat, à qui fut attribué la Crète, la revendit aux Vénitiens, en 1204, qui mettront presque cinquante ans à s’approprier l’ensemble de l’île. C’est ainsi qu’entre 1206 et 1252, ils se battront contre la population locale pour établir leur domination. Au cours de ce laps de temps, Khania sera totalement détruite, puis complètement réédifiée à partir de 1252. Il n’y a donc pas de vestige de l’époque byzantine. La ville échappe, à nouveau, aux Vénitiens avec l’arrivée des Génois qui y restent de 1267 et 1290, soutenus par les Crétois. Devenus enfin les maîtres pour longtemps, les Vénitiens feront de la ville le siège administratif d’une région particulièrement fertile, et créeront des fortifications qui modèleront le tracé de la ville jusqu’à aujourd’hui. Comme à Iraklio et à Rethymno, la chute de Constantinople, en 1453, créa un élan culturel et artistique très dynamique par l’afflux de prêtres, moines, artistes qui se réfugièrent dans l’île et renforcèrent ainsi l’emprise orthodoxe sur son territoire. Une culture fondée sur des éléments byzantins, crétois et vénitiens se fit jour. À Khania, de nombreux bâtiments importants datent de cette époque. En 1610, la ville comptait ainsi 97 palazzi et 19 églises latines.
En septembre 1645, c’est au large de Khania que les Ottomans trouvèrent un prétexte pour attaquer la ville, la prendre après un siège fort court avant de marcher sur Rethymno et conquérir l’île, à marche forcée, en quelques mois, avec Iraklio comme caillou dans leurs chaussures. Et comme chacun sait, rien de tel qu’un caillou pour empêcher un marcheur d’aller jusqu’au bout du chemin prévu. Auparavant, le prétexte de l’attaque, prélude à l’invasion, fut fourni par les Chevaliers de Malte, lesquels osèrent se comporter en corsaires (c’est plus noble que pirates) en arraisonnant une galère ottomane qui transportait un dignitaire ottoman, puis se dépêchèrent d’aller planquer leur butin à l’abri des remparts de Kydonia. Les Ottomans outragés mirent pied à terre à l’extrémité ouest de la baie fermée par la presqu’île de Rodopos, à l’aplomb du monastère de Gonias qu’ils ravagèrent et incendièrent, causant la perte irréparable d’une bibliothèque riche en manuscrits, incunables et livres imprimés. Très vite, ils s’attaquèrent à la transformation de la cité en affublant les palais vénitiens de claustras, en transformant les églises en mosquées ou en fabriques, en construisant des hammams (bains publics) et les fontaines nécessaires aux ablutions rituelles. Par ailleurs, ils firent de la ville la résidence du pacha de Crète. Dans ce qui avait été l’église Agios Nikolaos, les pèlerins vénéraient l’épée au fourreau rouge du premier derviche entré après la conquête et croyaient qu’elle avait le pouvoir d’aider aux accouchement difficiles ou de soulager les malades qui la touchaient.
Toujours au temps des Ottomans, l’une des églises de la ville fut rendue au culte orthodoxe par un pacha qui avait failli perdre son fils d’une grave maladie. Il le fit par reconnaissance à la population qui avait été en prière tout au long de cette alerte. Après leur départ, la cathédrale des Trois-martyrs, qui avait été transformée en savonnerie, retrouva sa fonction première et son icône historique qui avait été cachée dans un entrepôt quelconque. Un ouvrier vit l’icône en rêve, le chemin qui y conduisait et la retrouva ainsi.
Les bombardements allemands du 21 au 28 mai 1941 détruisirent 35% de la vieille ville. Un nouveau tracé de rue, en 1947 fit disparaître une partie des murailles et des demeures vénitiennes épargnées par l’aviation allemande. Ceci dit, Nancy a bien fait disparaître son quartier Renaissance, dans les années 1960, pour créer un quartier ultra moderne. En 1965, le centre-ville Khania est déclaré « biens historiques et culturels. Aujourd’hui, c’est une cité qui abrite un institut universitaire de technique, qui accueille de nombreux touristes et leur offre un large éventail des productions artisanales de l’île tout en leur offrant les plaisirs de la mer et des boîtes de nuit. C’est aussi une exportatrice, entre autres, d’agrumes, d’huile d’olive, vins, avocats, produits laitiers, légumes, jarres…
Khania ? Voilà ce que j’en ai d’abord vu : au-dessus des bâtiments qui entourent le port, un rapace tente de planer et se débat dans un tourbillon d’air en battant des ailes frénétiquement, puis il recommence son essai avant de plonger en flèche, puis de revenir au même endroit…
Début de la visite par la présentation des arsenaux
Deuxième aperçu de la ville : depuis l’endroit où nous avons garé la voiture, nous voyons l’envers massif des arsenaux construits par les Vénitiens. Au 16ème siècle, sous la pression de plus en plus agressive des pirates dirigés en sous main par les Ottomans, l’architecture militaire prend une grande ampleur un peu partout dans l’île et donc, à Khania. En effet, le maintien d’une armée permanente, l’entretien et le ravitaillement des galères de passage exigent la création d’infrastructures qui semblaient moins indispensables lorsque la paix sur mer était assurée. Il faut donc étoffer l’existant ou construire de nouveaux arsenaux, armureries, dépôts de munitions et de poudre, entrepôts de bois pour les rames des galères. Avec l’augmentation des effectifs de l’armée, il n’est plus possible d’héberger 3000 ou 4000 hommes en armes chez l’habitant. D’ailleurs, les habitants sont prêts à contribuer à la construction de casernes pour en être débarrassé. À longueur d’écrits, le recteur de Khania en demande à Venise.
Pendant longtemps, seul l’arsenal de Venise fut autorisé à construire des galères. En temps de paix, deux galères stationnaient à Khania, une à Réthymno, deux ou trois à Candie. En temps de guerre, Candie devait être capable d’armer et d’équiper treize galères, Khania, huit et Réthymno, quatre. Ce qui subsiste à Khania en arsenaux et dépôts de munitions montre l’effort colossal qu’il fallut mettre en place dans un délai assez bref. Lors des moments les plus tendus avec les Turcs, il y eut jusqu’à quatre-vingts galères stationnées en Crète, d’où la nécessité d’avoir des arsenaux pour construire de nouveaux bateaux, entretenir ceux-là ou ceux de passage, les abriter à cause de l’état de la mer en hiver. En 1256, Khania dispose d’un port et d’un arsenal. Deux abris voûtés sont opérationnels en 1526. Le danger turc grandissant, il y en a seize en 1593. À partir de1607, le port est agrandi et d’autres voûtes sont construites pour aboutir à un total de 25 et une capacité d’accueil du port de 40 galères. Les nouveaux arsenaux abritent des séries des pièces voûtées de la longueur d’une galère (49m), larges de 9m environ, hautes de 10m, surplombées par des frontons triangulaires et fermées par de solides portes en bois que l’on ouvrait ou fermait afin de laisser entrer juste assez d’eau pour tirer les bateaux. Actuellement, il en reste sept.
Outre ces bâtiments purement militaires, voient également le jour un bâtiment administratif pour l’arsenal, des magasins de stockage pour le sel et les céréales à embarquer sur les galères et les provisions pour nourrir, sur chacune, 80 militaires, 20 marins et 100 rameurs. Les travaux et les installations militaires amenant du monde il fallut un approvisionnement en eau complémentaire. En 1554, est créé, à partir des sources du faubourg de Périvolia et d’un petit fleuve côtier, un conduit souterrain qui amène l’eau sur la place centrale du port où il alimente une fontaine, puis rejoint un réseau qui alimente en eau des bassins de stockage.
Fin des considérations militaires et défensives. Que voulez-vous, cher lecteur, je viens de développer la première chose qu’il nous a été donnée de voir en arrivant à Khania, avec d’autant plus de zèle que j’avais d’abord cru à des murs de prison ! En route maintenant pour un tour en ville. Auparavant, nous avons tenu tête à un gamin qui bloquait la portière du conducteur pour obtenir 3 evro (euros), au titre du stationnement. Cela a pris fin quand une forte voix de femme s’est faite entendre à proximité et que d’autres enfants sont venus le chercher. Notre parking fort pittoresque s’adosse aux premières pentes d’un des deux caps qui ferment le port. Nous marchons dans une rue étroite limitée par les murs formidables de ma prétendue prison, d’un côté, et de l’autre longée par un trottoir étroit où s’assemblent devant des portes un ensemble d’adultes, tandis que des gamins se courent après. Nous comprenons que nous sommes dans un quartier populaire lequel aurait plu à un titi marseillais. Cette ambiance me fait penser à mes séjours montpelliérains, quand je m’échappais pour jouer avec les enfants gitans dont les roulottes était garées non loin de la maison grand-paternelle. Pour l’heure, nous tournons le dos à la ville et con-tournons les bâtiments rébarbatifs pour nous retrouver, illico, dans un tout autre univers. En quelques pas, nous sommes passés de la vie sympathique et sans façon des habitants d’un coin très citadins à la mer à nos pieds, mer ornée coquettement de quelques bateaux proprets.
Vite, Daniel consulte son plan : nous sommes sur la barre de terre qui sépare le vieux port du port vénitien, à côté du fort Firkas qui défendait l’ensemble. En face de nous, le phare vénito-égyptien s’élance, dédaigneux, vers le ciel. Daniel, effarouché par toutes les terrasses de restaurants qui bordent le quai, se replie vers une rue adjacente. C’est ainsi que commence un musardage qui va nous faire découvrir plusieurs quartiers de la ville tout en recherchant un restaurant qui soit ouvert un dimanche et qui ne soit pas sur le port. Nous monterons ainsi vers la colline de Kastelli. Elle fut l’acropole de Kydonia et les Byzantins en firent un fort entouré d’une enceinte fortifiée, d’où son nom de Kastelli1. Durant leur passage, les Génois y édifièrent une de ces tours de guet dont ils aimaient parsemer les paysages côtiers où ils prenaient pied. Lors de leur occupation, les Ottomans en firent leur lieu de résidence. Au passage, nous saluons les ruines minoennes qui s’ennuient derrière leur enclos.
Au cours de notre balade paresseuse, nous n’avons toujours pas trouvé de restaurant, mais nous sommes déjà servis en pittoresque. Pittoresque populaire, pittoresque militaro-vénitien revu ottoman, pittoresque d’une arrivée sur la mer dont la proximité nous avait été cachée jusqu’au bout. Plouf ! Non quand même pas ! Pour le restaurant, ce n’est ni le jour ni la saison pour bénéficier d’un choix important : c’est dimanche, et tous ceux que Daniel avait repérés dans ses guides sont soit fermés, soit ouverts en soirée. Enfin, nous trouvons un restaurant… pittoresque logé dans un ancien hammam. Grâce à cette recherche, nous avons parcouru toute la vieille ville et ses multiples ruelles pour revenir ensuite sur nos pas, jusqu’au moment où mon cher époux se décide pour ce hammam, garanti d’époque : il fut construit en 1400 comme bain public par les Vénitiens. En 1645, les Turcs en gardèrent la destination tout en y apportant des modifications à leur convenance. Depuis quarante ans, il est le centre culturel et artistique de la ville. Pour ce qui est de l’heure, nous y sommes pile pour demander à être servis comme des autochtones.
On nous conduit à une table sise sur la banquette en pierre qui occupe deux murs de la pièce. Je m’amuse, à partir de mes lectures, à imaginer des messieurs de tous âges et de toutes corpulences assis dessus pour faire « couarail », comme on dit en Lorraine. Le « couarail », c’était le temps de la veillée dans les villages : nombre de personnes se rassemblaient chez l’un ou chez l’autre pour échanger les potins, discuter sur un sujet quelconque ou écouter les histoires et légendes racontées par les anciens. Aujourd’hui, « faire couarail », c’est s’attarder en longues conversations à deux ou à plusieurs dans la rue. En attendant que nous soyons servis, je parcours le lieu pour regarder les affiches, toutes datées de la fin du 19ème siècle ou du début 20ème. L’une présente la une illustrée d’un journal satirique, « Le Perroquet » où les grandes puissances européennes apportent des amphores vers un puits (?) où elles déversent leur contenu en pièces de monnaie. Une autre vante « Le Pouris », vermouth type Turin, de qualité supérieure, vendu par Démosthène Pouris qui tient boutique au Pirée, depuis 1868. Plusieurs affiches présentent des pinups version art déco. À la fois pudique et suggestif, sur fond de fleurs et de tourterelles.
Ni ce jour-là, ni le lendemain, les ouvertures de musée ne nous seront favorables. Nous avons trop musardé en ville pour être à temps au Musée de la marine (dommage, car j’ai toujours aimé les bateaux). Quant au musée archéologique, il est en train de faire ses malles pour un autre lieu. Pour notre attente sur les vestiges d’Aptera, nous en avons eu les ailes coupées. Bien entendu, nous avons flâné sur le port, marché le plus loin possible sur la jetée du phare, salué au passage les hôtels vénitiens défigurés par les encorbellements ottomans, fait profil bas en passant devant le Revellino/Firka qui impose sa menace encore sensible, et salué avec respect la masse compacte, et un brin écrasante, de la mosquée Yiali alias Mosquée des janissaires. Décidément, ces Ottomans, ils savaient susciter la crainte par la forme massive de leurs architectures.
1Même racine que nos « castels » et châteaux.