Relation au médicament des personnes économiquement précaires en médecine ambulatoire et en médecine de ville et rôle du pharmacien d’officine

Sommaire

Introduction

L‘étude qui va suivre tente de dresser une synthèse des courants et des enjeux divers, parfois contradictoires qui émergent autour du médicament depuis son appréhension par le patient réel ou potentiel jusqu’au pharmacien sans oublier le médecin, car qui dit médicament dit soin lequel passe par le diagnostic du médecin, par le conseil du pharmacien ou par l’autodiagnostic et l’automédication. La plupart des verbatim sur lesquels repose cette étude proviennent, d’une part de militants d’ATD Quart Monde qui ont participé à un laboratoire d’idées mené par Mme Chantal Sibué de Caigny, sociologue, entre 2000 et 2002, et d’autre part de témoignages de professionnels collectés en 2005. Cette étude dont je suis l’auteur a été menée sous la direction de Mme Huguette Boissonnat, chercheuse, instigatrice du Réseau Wresisinski Santé, qui a mené de nombreuses études sur le thème de la santé des très pauvres. Elle n’a jamais été publiée dans son intégralité. Seul un condensé autour de la médecine ambulatoire l’a été pour un rapport commandé par l’A.R.S. Grand-Est, fin 2016.

Le médicament, en tant que tel, est un produit actif préparé pour agir sur des cibles déterminées, mais comme objet neutre d’un traitement qui l’inclut, il est l’enjeu d’une interaction triangulaire entre patient, médecin et pharmacien. En amont de cette interaction, les militants ont des représentations sur ce produit qu’il convient de mettre au jour et de préciser parce qu’elles ne sont pas toujours celles que les professionnels considèrent comme évidentes. Nous nous proposons de le faire à partir de ce qu’en disent les participants au groupe de parole. Nous verrons ensuite la relation médecin-soigné qui, pour une grande part, détermine la place que le patient accordera au traitement et celle qu’il nouera avec le pharmacien. Avant d’en arriver au rôle proprement dit du pharmacien, nous examinerons les freins qui contrarient la relation entre le patient et le médecin et plus, particulièrement, les freins économiques qui vont jusqu’à empêcher quelqu’un de consulter.

Lorsque le patient très pauvre rentre chez lui après une hospitalisation ou une intervention en chirurgie ambulatoire, il découvre le traitement qu’il va devoir prendre soit de façon temporaire, soit de façon prolongée, soit pour le restant de ses jours. Ainsi, sur une durée restreinte ou indéterminée, le médicament va devenir l’outil nécessaire aux suites postopératoires, puis, dans nombre de cas, l’outil qui va rythmer son quotidien pour assurer une convalescence, une amélioration de l’état de santé ou une stabilisation, à moins qu’il ne serve plus qu’à assurer le mieux-vivre possible dans la maladie. Pour la personne qui vit ce compagnonnage avec la maladie et qui fait face à l’inconnu qu’elle lui réserve pour l’avenir, le médicament connotera ses rapports avec le pharmacien qui le lui délivre et dont le savoir est une force, mais aussi ceux avec le monde médical ainsi que ceux qui le lient à son environnement social et aux pratiques de son milieu pour ce qui est de l’autodiagnostic et de l’automédication.

Le pharmacien d’officine, par l’emplacement de son lieu d’exercice, est placé au centre d’un maillage social important, lequel maillage détermine des rôles divers que les évolutions sociales, économiques, institutionnelles, chimiques, technologiques ont ramifiés et rendus complexes. Il est, à l’origine, le spécialiste du médicament alors que le médecin est celui du soin, du diagnostic et de la prescription. Le médecin est sur le versant du soin avec l’objectif de guérison, tandis que le pharmacien est sur le versant de l’action concrète contre ce qui cause la maladie en utilisant ce qui est mauvais, en temps ordinaire, pour en faire quelque chose de bon pour le malade. « Le pharmacien il est là, il sait, lui. Il nous connaît suffisamment. Il sait nos allergies, il sait nos trucs, il sait nos machins. » Ainsi débute une relation qui place le pharmacien dans un maillage qui peut l’amener jusqu’au rôle de soutien à des personnes malades très pauvres et ce, d’autant plus que l’accès à ses conseils est gratuit. Même si le pharmacien s’investit fortement dans l’exercice de son métier, les personnes très pauvres ou économiquement précaires restent seules décisionnaires pour des choix à faire en rapport avec l’automédication, leurs contraintes budgétaires, leur façon de suivre le traitement… C’est une des limites du rôle de pivot de ce professionnel et il en est d’autres qui seront, elles aussi examinées.

A – Place du médicament avant les relations entre le pharmacien et son client en situation de pauvreté

Le mot « médicament » pourrait être défini comme un terme générique auquel peuvent être substitués plusieurs synonymes tels que remède, produit, spécialité… Ainsi y a-t-il, au-delà du simple mot, une multiplicité de notions qui se profilent. Le médicament peut être envisagé selon le mode de préparation : potion, onguent, baume, décoction, liniment, émulsion, mixture… Selon la présentation : pommade, pilule, gélule, cachet, sirop, cataplasme, crème, huile. Au-delà du nom officiel donné par le laboratoire fabricant, il peut être catalogué selon l’action que l’on attend de lui : outil de combat contre quelque chose comme l’antibiotique, l’antiseptique, l’antispasmodique… ; outil pour atténuer ou supprimer temporairement ou durablement une manifestation physique comme l’analgésique ou l’anesthésique ; outil pour une action ciblée comme le diurétique. Il lui arrive d’être encore préparation topique pour embrocation, emplâtre… On peut lui demander d’aider à la réparation des forces physiques, c’est le reconstituant. Le médicament se trouve répertorié dans un codex, une pharmacopée ou le dictionnaire « Vidal ». Il est possible de le remplacer par un produit qui a les mêmes propriétés et auquel le médecin ou le pharmacien le substituera, éventuellement. Il est hanté par un idéal à atteindre à savoir la panacée qui est son utopie.

I – Relation au médicament

La relation au médicament, pour les personnes en grande pauvreté (et pour toute la population, sans doute), dépend d’un certain nombre de facteurs qui peuvent remonter au transgénérationnel, relever de la transmission, d’une culture qui lui est spécifique ou, plus intimement, d’une peur, de souvenirs (bons ou mauvais), de préjugés… Où commence, dans l’imaginaire de la personne, la vision du médicament comme bénéfique pour elle ou sa famille et à quoi donne-t-elle, éventuellement le statut de bon remède ?

a) Une histoire qui, avant l’officine, a débuté par la transmission

L‘accès contrôlé au médicament, la prise en compte de son ambivalence font partie de l’éducation à l’hygiène que les parents donnent à leurs enfants. Parfois cette éducation passe par les plante qui représentent le médicament dans son essence historique. En faisant leur connaissance, il apprend à donner une valeur à celles qui semblent sans intérêt et à respecter celles qui, ingérées imprudemment, empoisonnent l’organisme, en général, tout en étant bénéfiques, dans des cas particuliers, après des préparations spécifiques et à des doses très précises. Lorsqu’il est effectif, cet apprentissage amène l’enfant à faire la différence entre le grave et le bénin, à envisager sous une forme concrète et proche de lui le médicament et son ambivalence de poison et de bienfait. Il en tire une connaissance de son corps dans ses troubles passagers et une sécurité pour y parer. Ce que l’enfant a appris, l’adulte s’en souviendra plus tard pour une automédication raisonnée et dans le choix des interlocuteurs pour sa santé : médecin ou pharmacien. C’est ce qui se passe pour cette intervenante : « Je fais plus confiance à mon pharmacien qu’à mon médecin parce que je pars du principe que ce que je connais, ce que j’ai appris. À l’école, on avait commencé à confectionner un herbier et les plantes. Et ma mère me soignait les petits bobos avec des plantes. La relation avec la pharmacie : parce que je sais que le pharmacien, il connaît toutes les plantes. » Les plantes communément, dites « sauvages » lorsqu’elles sont frôlées en promenade, en randonnée ou les herbes, dites « mauvaises » lorsqu’elles envahissent les plates-bandes et le potager, sont l’approche princeps du médicament pour les participants au groupe de parole. « Ma maman nous faisait cueillir des bleuets : on allait dans les champs à ce moment-là cueillir des bleuets. On les faisait sécher. On les mettait dans des sachets…T’as mal aux yeux ? Allez, hop !

Ma grand-mère, elle faisait des cataplasmes. ».

Ils parlent de cela avec la fierté de qui peut reconnaître ces plantes, les appeler par leur nom et dire certaines de leurs qualités curatives. Dès qu’ils parlent des plantes, la parole se libère et le dialogue devient fluide : « La chélidoine pour les verrues. Quand on se faisait une coupure, l’enveloppe de l’ail ou l’oignon, c’était mieux que l’ail. Et donc moi, j’ai gardé ça. Plus, en allant me promener avec ma mère, elle me montrait des plantes qui étaient très intéressantes pour la santé. L’oseille, par exemple, vous savez, qu’elle nous faisait grignoter. C’était très acide mais c’était pour digérer. »

À la transmission transgénérationnelle qui s’effectuait au rythme des saisons et des événements de la vie s’est, bien souvent, substituée celle des médias. Cette transmission s’est toujours faite et passait par le canal écrit des revues. La multiplicité des canaux médiatiques lui a donné un caractère plus spectaculaire empreint d’exagération : « Les médias font tout un foin. Vous achetez n’importe quel programme de télé : telle maladie, tel ceci-cela. Donc, les gens ont peur. », regrette un pharmacien. Lui et ses confrères ont aussi leur part de transmission à effectuer : « Il y a, depuis quelques années, un besoin d’explications par rapport à ce qu’on donne comme médicaments. » À ce constat, un militant rétorque que « c’est peut-être du ressort du pharmacien mais c’est aussi de notre ressort. On est quand même dans un monde qui a évolué : il faut lire, il faut écouter. » Peut-être que plus le médicament s’éloigne des plantes médicinales, plus il y a besoin de comprendre ce qu’il est.

b) Appréhension ambivalente du médicament

Le médicament est un produit pharmaceutique qui est toxique et mystérieux dans ses effets. À travers les verbatim, il apparaît comme quelque chose de complexe, et les participants au laboratoire d’idées d’ATD Quart Monde considèrent qu’ils ne peuvent lui faire confiance d’emblée. Poison ou bienfaisant, sa formule se compose d’éléments essentiellement chimiques ou essentiellement « naturels », tels que plantes, oligo-éléments… Lorsqu’il est avalé, il n’est pas simple de le différencier d’un aliment, et on peut se demander si, parfois, il ne rend pas plus malade qu’il ne guérit. Pour finir, il a un coût qui peut intervenir dans la valeur que le malade va donner à son traitement.

– Produit pharmaceutique

Sur bien des points, les participants au laboratoire d’idées rejoignent les vues des professionnels sur le médicament. Ils en différent sur beaucoup d’autres. À l’origine, le médicament provient de la transformation de substances issues de la nature. Actuellement, le médicament est surtout envisagé sous son aspect chimique, reléguant souvent celui qui est à base de produits naturels au rang de substitut alimentaire. Même les molécules agissantes trouvées dans les plantes sont, la plupart du temps, devenues des produits de synthèse fabriqués chimiquement. Les intervenants font très bien la différence entre les deux sortes de produits, regrettant que l’un ait été abandonné au profit quasi hégémonique de l’autre. Comme ils sont essentiellement soignés avec les spécialités des laboratoires, c’est ce type de médicament qui sera l’objet des commentaires au long des pages qui vont suivre

Les pharmaciens font le constat que « les gens sont plus angoissés par rapport au médicament. C’est même un peu plus vrai pour les personnes en situation de précarité. » Il n’y a pas si longtemps la composition des médicaments les plus courants étaient assez facilement compréhensible par des personnes qui avaient quelques connaissances de base. Maintenant, la complexité des formules chimiques et des molécules font du médicament un produit qui s’éloigne de plus en plus de l’entendement des personnes. « Des médicaments qui te refilent une autre maladie », dit un intervenant à propos du Médiator car, non seulement, le produit s’éloigne de l’entendement des personnes mais, en plus, il est prouvé que certaines molécules inventées se révèlent nocives à moyen terme pour ceux qui étaient censés être soignés, voire guéris par elles.

Le médicament est un produit qui a une forme et une couleur (le médicament « pour mon cœur était rose en forme de cœur »), des caractéristiques qui lui sont propres, une présentation (pilule, gélule, comprimé… en plaquette…), un emballage (les boîtes « sont blanches et violettes » « Il a des boîtes, mais elles sont différentes. Gris et jaune, gris et noir, ou gris et bleu.), un goût parfois affirmé (« Il y en a qu’un… qui est dégueulasse et qui existe depuis des années. »). Il fut un temps où il avait un nom propre à lui, donné par le laboratoire qui avait inventé sa formule. Avec la mise dans le domaine public d’anciens brevets, un même produit se retrouve avec une multiplicité d’appellation : « Quand un docteur avait donné de l’Advil, le lendemain de l’Ibuprofène, le 3ème jour du Nurofen, c’était exactement la même chose !…

Les participants savent que les médicaments font l’objet d’une réglementation et qu’ils ne sont mis sur le marché qu’après de nombreuses vérifications : « Moi, je voulais poser une question par rapport aux médicaments qui sont en AMM., avec Autorisation de Mise sur le Marché. Ces médicaments, il y a des protocoles. Il faut une AMM pour qu’on puisse les avoir. Je pose les questions à la pharmacienne. Les médicaments avec AMM, ça veut dire qu’ils peuvent être disponibles dans les pharmacies de ville ? »

– Produit toxique

Parce qu’il est un produit actif, l’ambivalence du médicament est à envisager pour toute personne qui a un traitement. Prendre un traitement rend cette dernière responsable d’emblée par rapport aux personnes qui vivent avec elle ou viennent la voir car « le médicament qu’on a à la maison peut être dangereux parce que c’est en relation avec sa prescription médicale. »En effet, le médicament bénéfique pour l’un peut devenir poison pour un autre. Les intervenants sont bien conscients de la spécificité conféré à chaque produit du fait de sa formule. Ils font la différence entre les médicaments destinés à des pathologies et ceux que l’on peut donner à un enfant pour soigner un rhume :« …alors celui-là, il n’est pas dangereux ».

La méfiance est donc de rigueur pour préserver les enfants d’accidents possibles : « Mes médicaments, personne n’y touche. Je les garde dans ma chambre. »Malgré sa méfiance et sa vigilance, la personne fait parfois l’expérience de la toxicité du produit. Par exemple, pour cette personne qui n’avait plus ses repères habituels du fait de l’introduction de produits génériques dans son traitement : «J’ai confondu et je me suis retrouvée à l’hosto parce que j’ai pris deux fois le même. »De ce fait, lorsqu’une personne reconnaît « Ça me fait peur », est-ce une prise de conscience de la dangerosité du produit ? Est-ce un recul un peu superstitieux par rapport à ce qu’il a d’incontrôlable qui la prédispose à un refus éventuel de traitement ? Est-ce l’aveu d’une crainte par perte de repère ? Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de prendre quelques précautions pour apprivoiser le produit afin qu’il fasse bon ménage avec le corps. « Par exemple, les anti-inflammatoires, je sais pertinemment qu’il faut les prendre pendant le repas. Autrement, si on les prend quand on n’a rien dans l’estomac, ça fait des brûlures… ça provoque des dérèglements de l’estomac. »

La prise en compte de la toxicité possible du médicament amène à se poser la question des interactions négatives qui peuvent se développer lorsque plusieurs produits sont pris en même temps ou lorsque les ordonnances du médecin généraliste se superposent avec celles d’un ou plusieurs spécialistes. Il leur est alors conseillé de relativiser entre les vraies incompatibilités, les incompatibilités qu’on peut laisser parce qu’on n’a pas le choix, parce qu’il faut prendre plus de trois médicaments, parce qu’on est obligé. »

Une dernière cause de peur provient des notices explicatives qui accompagnent les produits : «J’ai lu, alors ça me fait peur de les prendre maintenant ». Parce qu’elle ne sont pas destinées à une information réelle de l’utilisateur mais beaucoup plus à une protection légale du laboratoire fabricant, elles sont exagérément développées. Leur effet psychologique en est tellement désastreux que l’ « on pourrait même rajouter sur les fioles et sur les boîtes les têtes de mort tellement ça fait peur. » 

« Sans compter, quand j’ai des diarrhées, faut prendre contre les diarrhées, quand j’ai des maux d’estomac. Enfin voilà, les effets secondaires quoi (…) ! Ces effets secondaires sont la preuve de l’ambivalence du médicament, à la fois toxique et bénéfique. Lorsqu’ils sont trop gênants pour la vie quotidienne, la personne renonce, découragée : « On arrête tout quoi ! »

– Produit mystérieux

« Cest compliqué, les médicaments », puisque le produit agit sur le corps dans une interaction qui semble aléatoire : « …la personne n’est encore pas habituée à ces médicaments et …on ne sait pas si elle va pas bien le supporter. » Il est efficace, puis il ne l’est plus. Alors «… au bout d’un moment, si je vois que ça sert à rien, je dis stop. Ça sert à rien, je vais pas prendre un traitement, changer tous les mois de traitement (…) ». Le médicament est d’autant plus mystérieux que son effet sur la durée peut être différent selon son action. Il y a les médicaments dont l’efficacité ne se révèle qu’à terme : « On leur explique la prise de médicaments que si la durée est trop courte, il n’y a pas de bon suivi. » ; et ceux dont l’effet s’atténue au fil des semaines ou des mois : « Le Doliprane, ça te soigne un petit moment, ça soigne pas une douleur…

…même à force d’en prendre, ça devient inefficace. C’est comme n’importe quel médicament, faut pas se leurrer…

…Le Doliprane, à côté de la morphine, c’est un cachou à côté ».

L‘apparition du générique a apporté une distinction nouvelle car «(…) maintenant, mon médecin marque le vrai ». D’un point de vue rationnel, cela devient troublant : s’il y un « vrai » médicament, il y en a donc des « faux ». Si cela s’avère exact, il est naturel qu’il y ait une méfiance par rapport à ses effets curatifs. Il est naturel de penser que « les génériques, ça marche pas toujours », que« le générique, il me fait rien », que « ça fait pas le même effet, les génériques » jusqu’à constater qu’« il est pas bon » et qu’« (…) il est moins fort». Alors par souci de justice, certains relativisent cette appréciation apparemment sans appel. « Il y a peut-être certains génériques qui n’ont pas d’effets (…) Certains marchent». « Moi, je prends plein de génériques, mais y en a un qui ne marche pas ». Et puis les génériques des laboratoires inventeurs ne peuvent être que bons. « Mais je sais pas, il faudrait regarder, les génériques qui sont fait par les mêmes laboratoires que le normal, ça marche. Mais si c’est des génériques qui sont faits par un autre laboratoire, ça ne marche pas ».

Qu’est-ce qui s’exprime derrière ces rejets ? Une révolte à cause d’une perturbation grave dans les habitudes et les repères de personnes qui avaient l’habitude d’un traitement ou qui ont eu des difficulté à mettre en place le leur par absence de points de repère. En effet, un médicament a couramment une forme, une couleur, un contenant, un emballage qui correspondent à un nom précis inventé par le laboratoire qui a trouvé la molécule ou la combinaison de molécules. Autant de moyens de reconnaissance mnémotechnique qui ont disparu avec la conception simplifiée des produits génériques. Cette simplification concerne d’abord le conditionnement. Or l’emballage connote un premier signe visuel de reconnaissance. Que se passe-t-il lorsqu’un laboratoire fabricant place la visualisation de son entreprise avant le confort mnémotechnique de l’usager : « Tous les génériques que j’ai viennent du même laboratoire, et c’est même chiant, parce que toutes les boîtes sont de la même couleur. Elles sont blanches et violettes, non mais ! » À la longue, les personnes pourraient s’adapter à cette uniformisation visuel si le grossiste ne changeait de laboratoire fournisseur. Ainsi sont dénoncés « les pharmaciens qui changent les boîtes de médicaments à tout bout de champ, c’est-à-dire qu’un jour, c’est une boîte verte, ensuite c’est une boîte jaune. » Le problème de reconnaissance visuel se complique avec la créativité de chaque fabricant pour nommer son produit : « (…) Donc, vas-y pour t’y reconnaître. Ça change tout le temps, ce n’est pas la même boîte, c’est des noms barbares, ce n’est pas la même couleur. Mais pourquoi est-ce qu’ils les changent ? » « Oui, non, mais le problème des génériques… Moi j’avais la liste de tous les médicaments, alors je prends ça, ça, ça. Mais le truc, c’est qu’après ils changent à chaque fois, parce qu’en fait, s’ils changent de laboratoire, ça change de nom. Donc après, tu sais plus où t’en es. »

Pour que les personnes ne fassent pas d’erreur, les pharmaciens ont trouvé une parade en inscrivant sur les boîtes à quoi sert le médicament. Cela ne résout pas le problème du changement de forme pour les personnes illettrées ou étrangères. Pour les gens qui savent pas lire, c’est du n’importe quoi ! » Comme le souligne cette personne, l’uniformisation du conditionnement met en difficulté nombre de personnes lorsqu’elles sont privés de ces repères.

Un autre repère visuel concerne la forme et la couleur du comprimé. Au contraire du produit princeps qui prenait en compte le malade avec sa perception visuelle et tactile, le produit générique se singularise par l’économie de sa présentation et une simplicité uniforme déroutantes pour le malade comme en témoigne cette personne : « J’ai cru que je m’étais trompée dans les prises de médicament. Parce qu’avant, celui pour le cœur, il était rouge et maintenant il est blanc, comme celui pour le diabète. Et à un moment donné, je me suis demandé si je ne m’étais pas trompée, que je ne prenais pas le double de médicament pour le diabète. Enfin, je n’étais pas bien, donc je pense que j’ai dû faire une grosse bêtise. » Cette simplification uniforme joue contre le traitement prescrit, ce qui amène certains à douter de l’efficacité du produit de substitution : « Eh oui ! ça ne fait pas le même effet. Sur les génériques, tu ne peux plus le couper en deux ton comprimé. Moi j’ai du Xanax, je pouvais le couper en deux parce que j’en prenais un demi le matin, puis un complet le soir. Le générique il est encore plus petit et il n’a pas de forme, donc, tu ne peux pas prendre ta dose du matin. » Ainsi ce n’est pas le produit en soi qui est à incriminer dans la moindre efficacité du générique mais la conception du comprimé qui met la personne dans l’impossibilité de suivre la prescription la médecin : soit elle sous-dose le traitement soit elle le surdose.

– Transfert de la cause de maladie sur le produit

Puisqu’il traite le corps malade, le médicament est bien placé pour être l’objet d’un report d’angoisse, tel que celui-ci : « J’ai peur, l’hospitalisation, tout ce qui est médicament, tout ce qui est traitement. » Par la maladie, la personne perd la maîtrise de son corps, c’est-à-dire d’une partie d’elle. Mettre cette peur sur le médicament, c’est se déculpabiliser du fait que la maladie apporte une dépossession physique progressive, c’est se déculpabiliser du sentiment d’impuissance que la maladie induit par son processus parfois inexorable. C’est aussi une manière de conjurer le mauvais sort que la maladie concrétise, une tentative désespérée et nostalgique de retrouver un avant idéalisé où le corps était en bonne santé. L’angoisse physique est transférée sur le produit. Ce n’est plus la personne qui est malade. C’est le médicament qui rend malade. Alors que dans le réel c’est la maladie qui est menaçante, l’imaginaire déplace cette menace sur le médicament. Il y a alors l’affirmation que « Les gens, ils sont asphyxiés », que « C’est les médicaments qui rendent malades ». « Ça me fait même plus de mal. J’ai l’impression que ça fait plus de mal qu’autre chose ».

Lorsque le médicament est associé à l’hôpital, se profile la peur d’une déshumanisation, la peur de n’être plus qu’un objet aux mains de soignants qui décident pour vous et ne vous laissent plus aucune liberté ou marge de manœuvre. Si la vie bascule à l’hôpital vers une prise en charge vécue comme une régression proche de la prise en charge du bébé, ce n’est plus la maladie qui est incriminée mais le médicament qui dérange la vie ou même la détruit : « Ma voisine a été hospitalisée : on ne savait pas ce qu’elle avait. Elle a été transférée dans d’autres services. Elle avait une multitude de médicaments. Finalement elle est décédée à l’hôpital. Cela porte le discrédit sur les médicaments. » Dans ce rejet du médicament, qu’est-ce qui est rejeté de fait ? Est-ce l’hôpital et une forme d’inhumanité ? Est-ce le deuil d’un espoir qui a été mis sur le médecin et sur la toute puissance à guérir qui lui est supposée ? Est-ce la faillibilité du médecin qui mise en cause au même titre que le médicament ?

Alléguer une dépendance au traitement est une tentation pour la personne qui vit une maladie chronique ou de longue durée et qui voit au fil des mois, puis des années, se succéder les ordonnances sans espoir de répit ni de guérison définitive. Elle remise ainsi dans un coin la maladie en même temps que les sentiments complexes qui l’accompagnent tels que désespoir d’avoir perdu définitivement sa santé, sentiment d’impuissance à ne pouvoir la récupérer, sentiment de culpabilité de ne pas avoir été vigilante assez tôt… Alors, pour le malade, le traitement continu est justifié non plus par la maladie mais par le médicament qui a instauré une dépendance. « On a un médecin traitant. Les médicaments, on y va parce que voilà. On y va pour chercher notre drogue quotidienne. C’est un peu ça, et puis voilà sans plus ».« Pour moi, je suis une droguée. » C’est ainsi que les traitements qui nécessitent une polymédication crée, au bout d’un certain temps, une sensation de trop, de confusion, de mélange peu sain au même titre que les mélanges alcooliques. C’est ainsi que « ça fait quand même un cocktail ».

Le médicament est un produit conçu pour agir sur une cible particulière. Il peut générer, par ailleurs, en dehors de cette cible, de possibles effets dits secondaires. C’est un de ses mystères qui échappent à toute compréhension. Lorsque l’attention du malade se fixe sur la crainte –tout-à-fait légitime– de ces effets, l’efficience thérapeutique du traitement s’en trouve diminuée. Ils sont alors perçus comme plus dangereux pour la vie que la maladie en soi, et l’image du médicament comme poison qui n’est que poison et sans effet sur la maladie en est renforcée. Il y a là un effet de double langage où, d’un côté, le malade accepte le fait qu’il est malade puisqu’il prend son traitement et, de l’autre, nie le fait qu’il puisse guérir. Il ne va donc pas jusqu’à l’acceptation complète du combat. Il reste à mi-parcours. Il nie le médicament dans ses effets thérapeutiques et ne le perçoit que dans sa dimension de poison : « Je continue à m’empoisonner, même si je sais que ça sert à rien. » « Les médicaments, ça abrutit » Derrière cette réalité constatée du médicament abrutissant, abêtissant. il y a peut-être les effets induits par la maladie-même : épuisement physique, fatigue morale, changements déroutants pour la perception de soi.

– Indifférenciation entre médication et alimentation

Parce que le médicament est souvent ingéré oralement et que le système digestif –à commencer par l’estomac– se manifeste après cette ingestion, il semble naturel d’établir un parallèle entre médication et alimentation, à la différence près que le médicament est parfois un aliment empoisonnant. D’où cette fière affirmation d’une mère à propos de son enfant : « Il n’a jamais rien mangé de médicaments, rien du tout». Parfois, le médicament devient un substitut à l’aliment parce que son ingestion comble un manque psychologique que la personne transpose sur le plan alimentaire. Elle oublie qu’en avalant un comprimé, par exemple, elle ingère quelque chose qui soigne son corps malade : « Je mange des pilules ». C’est ainsi que certains ne font pas du tout la différence entre l’aliment véritable et l’aliment thérapeutique : « Mais ce que je remarque chez les gens, c’est qu’ils prennent les médicaments comme des bonbons. Sans manger avec. Donc, en fait, après ils se trouvent avec les gencives en sang. » Cela interroge sur le statut donné à la maladie par rapport à la bonne santé et sur une approche du médicament imprudente et insuffisamment réfléchie. Le fait que ce soit créée une catégorie « compléments alimentaires » dans laquelle on retrouve nombre de produits de la pharmacopée traditionnelle qui furent vendus, jusqu’il y a peu, comme médicament peut accroître la confusion. Il en est de même pour la création de l’ « alicament » par l’industrie alimentaire où la publicité tend à effacer la ligne qui départage la nutrition de la médication.

Il arrive que le médecin donne l’impression aux personnes qu’il reçoit de ne pas faire la différence entre médication et alimentation lorsqu’il surajoute une prescription à un traitement en cours par ailleurs, et qu’il ne prend pas le temps d’une investigation préalable pour faire l’inventaire de ce que son patient prend déjà : « Le problème des médecins que ça soit à l’hôpital, ou n’importe quel médecin, c’est quand t’es face à eux, quand t’as plein de médicaments à prendre, t’as beau leur dire : « Mais tous les médicaments pris les uns derrière les autres, comptez combien ça fait par jour, et comptez au bout de combien de médicaments mélangés ! Qu’est-ce que ça peut faire dans l’estomac? » En effet, alors qu’il est normal que des aliments divers se mélangent dans l’estomac, le médicament, du fait de son statut, devrait être l’objet d’un examen particulier avant d’être prescrit par un spécialiste en sus d’une ordonnance déjà délivrée par le généraliste ou un autre spécialiste.

– Coût attribué au bon traitement

Du fait de la maladie, la personne perd le contrôle de son corps. Il lui échappe en prenant une indépendance contre laquelle elle ne peut rien par elle-même. À cela s’ajoute le fait que le malade est obligé de se mettre sous la dépendance de quelqu’un pour se faire soigner. Payer un médicament, c’est, pour lui reprendre le contrôle de sa vie là où la maladie l’en avait dépossédé. Obtenir un traitement qui coûte cher est donc une façon symbolique de retrouver une valeur à ses propres yeux soit parce qu’il fait le choix de payer, soit parce que la société paye la somme nécessaire lui prouvant ainsi qu’il a de l’importance au niveau social. Le médicament, par son prix élevé, peut donc avoir une fonction de réparation sociale. Cette revendication est encore plus prégnante depuis l’apparition d’une catégorie générique : ces médicaments donnent l’impression aux personnes pauvres qu’elles sont traitées comme des personnes de seconde zone à qui est réservée une médication peu chère. Cela traduit sans doute le sentiment de l’installation d’une médecine à deux vitesses : l’une pour les pauvres qui sont obligés de prendre les médicaments génériques (le pharmacien « te donne des génériques. – Quand tu n’as pas le choix tu es obligé de les prendre. ») et l’autre pour les riches qui ont les moyens économiques de payer ce qu’il y a de mieux : «Maintenant, si tu veux des bons médicaments, il faut payer ». Ainsi s’installe la croyance que « Quand on veut un bon traitement, c’est payant. Quand c’est pas un bon traitement c’est pas payant ».

« Moi mon médecin, il me marque le vrai ». À son insu, bien souvent, le praticien renforce cette croyance mais aide la personne à être actrice pour sa santé en lui redonnant une part de dignité. L’arbitraire économique est d’autant plus incompréhensible que la personne qui paye une cotisation se sent en droit d’avoir ce qu’il y a de mieux : « Je paye la Sécu, je veux le plus beau. » Telle est la phrase qu’un pharmacien met dans la bouche de certains de ses clients. Le médicament relève ainsi d’un droit économique du fait de la cotisation, droit personnel qui s’oppose aux mesures d’économies prises par l’État.

c) Médicament et indépendance négative par rapport au médicament

Le rejet du remède est une affirmation de soi négative qui se positionne sans nuance contre un produit chose et n’envisage pas la face possiblement bienfaisante de ce qui est honni. Ce rejet découle du fait que ce qui est sensé soigner est perçu comme toxique et malfaisant, un peu comme les remèdes de sorcière d’autrefois dont on ne connaissait pas l’effet final : « Moi, j’ai jamais rien pris. Je leur ai dit à l’hôpital : « Donnez rien. Je prends rien. Et pourquoi, pourquoi faire ? C’est ça qui me rend malade. » Est-ce parce que les produits actuels s’éloignent de plus en plus de la pharmacopée traditionnelle facilement appréhendable par chacun ? Est-ce un manque de foi en la médecine actuelle devenue trop technique ? Est-ce un problème culturel ? Quoiqu’il en soit la condamnation du médicament sous sa forme industrielle est parfois condamné sans appel : « – (…) ça sert à rien, les médicaments ?

– Ben faut croire, puisque moi, je n’en ai jamais pris. La preuve. J’en étais vraiment dégoûtée. »

Le refus de prendre un produit s’apparente aussi à un désir de retrouver une maîtrise de son corps et de vivre avec ce qu’il est, comme il est. Cela va à l’encontre d’une certaine médecine qui voudrait éviter toute douleur au patient. Ce souhait est louable dans son humanité mais trouve ses limites dans la volonté du patient de rester en contact avec ses sensations : « Je supporte très bien la douleur et évite les médicaments. » Il y a le rejet conscient et assumé de certains. Il y a aussi le rejet de ceux qui voudraient une autre forme de soin, une autre forme d’écoute et non un traitement qui leur donne l’impression d’être muselé. À cette demande qui n’est peut-être pas formulée clairement et qui, de toute façon, n’est pas entendue ou pas prise en compte, la personne va substituer la rébellion : « Je pense à une personne malade mentale qui doit absorber dix-sept médicaments et qu’on oblige à les ingérer. Se sentant dépossédée de son action, sa seule solution pour se rebeller est de les jeter… »

d) Médicament et affirmation d’une liberté

Face à un produit dont la formule est devenue antinaturelle, un produit devenu trop mystérieux dans ses effets primaires et secondaires, les personnes affirment leur désir de perpétuer des recettes dites de « grand-mère » dont elles constatent, de leur place, les effets réels. Elles ont plaisir à transmettre ce qu’elles tiennent d’une tradition qui leur a été transmise et plaisir à échanger ce qu’elles savent avec d’autres qui savent autre chose. Au devoir de prendre soin de sa santé s’ajoute alors le plaisir d’échanger et d’apprendre. Ces recettes concernent l’hygiène : « Dans ton saturateur de radiateur, l’eau est chaude. Tu mets deux branches de thym. Tu changes régulièrement. Ça t’assainit l’air et ça désinfecte et ça t’aide à respirer. » Mais aussi les troubles de santé saisonniers : « Quand t’as une sinusite, tu te fais une inhalation de thym, c’est nickel. La gosse, moi elle avait 6 mois elle savait ce que c’était. Elle mettait tout son nez au-dessus de la casserole. Elles s’appliquent également à des problèmes chroniques : « Moi, je suis une migraineuse et c’est une horreur. J’ai testé tous les médicaments possibles et imaginables jusqu’au jour où j’ai trouvé en lisant je sais plus quel bouquin ou quelle revue : les masques que vous mettez dans le congèle et quand vous avez mal, vous appuyez dessus. Et en 5 minutes, le mal de tête, il vous passe. » Le recours aux plantes, c’est aussi la possibilité d’affirmer une autonomie. C’estla fierté de prouver qu’il est possible, dans certains cas, de s’affranchir de la dépendance économique induite par les aides sociales et de se soigner à moindre coût.

e) Médicament : outil de solidarité et de conseil

Par leur approche prudente, voire méfiante, des produits pharmaceutiques, les personnes arrivent, en gérant correctement l’armoire à pharmacie familiale, à faire du médicament un outil de solidarité pour ceux qui souffrent dans le voisinage –« Les médicaments pour la tête, j’en donne beaucoup à ma voisine : elle n’a jamais ce qu’il faut »– ou pour ceux qui manquent de moyen financiers : « Quand on n’a pas de mutuelle, quand on a besoin d’un médicament qui est cher et qu’on ne peut pas le payer, comment on fait ? Eh bien ! on voit avec les gens autour pour se dépanner directement ». Cette solidarité trouve ses limites lorsqu’elle est pratiquée par des personnes qui ne sont pas assez méthodiques dans la gestion de l’armoire à pharmacie familiale parce qu’elles sont constamment sollicitées par les urgences du moment : « Alors, c’est devenu chez nous ! On magouille entre les médicaments qu’on a. On se les passe les uns aux autres. On ne sait pas ce qui est bon, n’est pas bon. On prend n’importe quoi, mais je ne peux pas payer pour ma fille et pour moi ». Nombre de participants au laboratoire d’idées considèrent, cependant, qu’il vaut mieux un usage raisonné de produits qu’elles connaissent par leurs effets thérapeutiques et secondaires qu’une recherche personnelle et solitaire qui dépasse leurs compétences : « Problème du non remboursement des médicaments ou les médicaments trop chers. Alors on se passe les médicaments entre nous. Médicaments en vente libre sur Internet : c’est dangereux. L’interférence entre les médicaments peut être nocive. »

II – La relation au médicament qui se noue entre le médecin et le patient

« Avant d’aller à la pharmacie, vous êtes passés chez le médecin qui vous a déjà dit que vous alliez prendre ça et tant de fois le machin. Donc le médecin, il vous a déjà dit ce que vous alliez prendre et combien de fois par jour et pendant combien de temps. »

Lorsqu’un patient vient voir un médecin, un contrat se noue entre eux outre celui, indispensable, de la confidentialité d’un secret partagé puisque le patient va oser parler de choses plus ou moins intimes qu’il ne peut confier à personne d’autre et va oser livrer son corps à une investigation extérieure. Le contrat que l’on pourrait nommer comme objectif pourrait se définir dans le dialogue imaginaire suivant : « Je viens vous voir. Je vous demande de poser un diagnostic et de me prescrire ce qu’il faut pour que je guérisse ou que je puisse me soigner. En échange, je vous paye à la fin de la consultation. » « Je vous écoute, j’écoute vos mots et votre corps à travers ce que vous dites . J’écoute votre corps par l’auscultation. Je pose un diagnostic. Si je l’estime nécessaire, je rédige une ordonnance. »  Une fois l’ordonnance rédigée et délivrée, le patient reprend sa liberté. Dans son contrat avec le médecin, il n’est pas fait mention de sa volonté de se soigner ou de se guérir. Il repart avec une ordonnance qu’il est libre de porter ou non au pharmacien, de même qu’il est libre de donner au médicament le statut qu’il lui convient.

À partir de ce contrat, il y a plusieurs façons d’envisager les relations qui s’établissent entre le praticien et le patient. Relation de personne à objet lorsque le médecin est envisagé ou s’envisage comme un technicien, du fait de son savoir ou de sa pratique. Également relation de personne à objet lorsque le médecin s’intéresse surtout au côté « patior » (du latin « je souffre ») du patient ou aux pathologies. À noter qu’il fut un temps où les médecins recevaient des « clients » qui constituaient leur « clientèle ». Son attitude va alors donner un statut particulier à la maladie et une connotation à la consultation d’où le patient déduira de façon inconsciente qu’il n’est intéressant que malade. Ce patient aura-t-il alors le désir de guérir puisqu’il n’est pris en considération que malade ? Pour ce malade, le médicament deviendra un alibi qui lui donne la possibilité d’être écouté régulièrement par quelqu’un.

Nous avons choisi, pour ce qui suit, d’examiner ce contrat sous l’angle plus subtil, plus universel et plus humain du « faire plaisir », c’est-à-dire le « placebo » (du latin « je ferai plaisir ou je vais faire plaisir) si impliqué dans les corrélations médicales.

a) contrat entre le médecin et le patient :

« Il y a une chose que vous ne voyez pas, c’est qu’on fait confiance à notre médecin, c’est qu’on fait confiance. » Cette confiance repose sur la certitude que le secret de santé ou de mal être qui sera partagé avec le médecin est garanti par le serment que le médecin a prononcé lors de sa remise de diplôme.

« On raconte la vie personnelle plus au médecin. Dans le quartier où je suis nouvelle, j’ai un nouveau médecin. Je me suis plus confiée à lui pour mes problèmes actuels qu’au pharmacien. Le pharmacien il n’a pas le secret professionnel.

Il n’a pas quoi ?

Ce n’est pas le serment d’Hippocrate. »

« La patiente expliquait qu’elle avait eu beaucoup de soucis et elle avait beaucoup pleuré et que cela lui avait fait perdre la vue. Le professionnel lui a dit qu’il n’est pas possible qu’elle perde la vue à force d’avoir pleuré, mais en discutant, le professionnel découvre que c’est plus compliqué que ça, et que les soucis l’avaient empêchée de suivre suffisamment son diabète et ça avait provoqué la cécité. »

Pour les parents qui doutent de leurs capacités, le contrat avec le médecin s’apparente à une forme d’assurance qui leur garantit qu’ils sont de bons parents : « Avant, un enfant avait de la fièvre le soir, on lui donnait des suppositoires, quelque chose comme ça. Maintenant, on va automatiquement, je le sais, on appelle le médecin ou on va voir le médecin… mais le lendemain, chez un enfant, la fièvre peut monter très vite et descendre aussi rapidement. Si elle ne redescend pas alors, là, on appelle. Chez un enfant, ça se passe comme ça elle peut monter à 40 et après ça redescend... »

« Il y a aussi une peur de la maladie de l’enfant, donc là, ils appellent le médecin de garde… »

b) aspect placebo (littéralement « je ferai plaisir » du verbe latin « placere »)

« On ne peut pas savoir ce que le fait d’être accompagné par une personne aidante fait baisser le niveau d’énergie nécessaire pour se soigner ».

– de la part du médecin

Le médecin fait plaisir à un patient qui a besoin d’être rassuré et rédige une ordonnance en conséquence. « La plupart du temps, chez le médecin, une personne sur deux va pour être rassurée pour son enfant. » Cela peut induire une attitude consumériste de la part du patient qui constate qu’il suffit qu’il se plaigne au médecin pour obtenir quelque chose. « Ils vont chez le médecin qui les rassure tout de suite et les médicaments. Je ne sais pas toujours s’ils vont jusqu’au bout de leur traitement. » Certains participants estiment ainsi «  que les gens attendent tout de ceux qui doivent leur dire, ils ne lisent pas ce qui est à portée de la main. Les gens ne sont pas participants. »

Lorsque le médecin joue l’aspect « Je vais lui faire plaisir », il risque parfois soit de conforter le patient dans sa plainte, soit de lui donner l’impression de ne pas avoir été entendu là où ça ne va pas. Le contrat est déséquilibré. Il se peut également qu’une relation de dépendance s’installe entre le médecin qui se fait plaisir en faisant plaisir et le patient qui attend qu’on lui fasse plaisir. Le médicament prend alors un aspect symbolique qui rejaillit sur le traitement. La personne aura-t-elle intérêt à guérir ? Cela pose la question du bien fondé de la prescription dans certains cas : « Est-ce que sortir de chez le médecin sans médicament est difficile à supporter par exemple ? Est-ce qu’on fait croire à la nécessité de traitement pour des pathologies qui guérissent seules avec le temps ? Ou à l’inverse, qui ne guériront pas, traitement ou non ? »

Le placebo du médecin est plus formel lorsque le médecin rédige une ordonnance en déséquilibrant le contrat car il y manque une attention spécifique à chaque personne reçue. « Je vois une copine, son médecin, hop ! T’as ton ordonnance, on te prescrit et puis au revoir au mois prochain. Y a d’autres qui prennent plus de temps, qui reprennent la tension, des trucs normaux que tu fais régulièrement ».

– de la part du patient

Le patient est reconnaissant au médecin d’avoir été reçu et écouté. Il se fait un devoir de suivre le traitement : « Si le médecin, il te donne un traitement parce qu’il te dit : « Voilà tu prends ça ! ça ! ça ! » Bon, moi, je suis le traitement à la règle ; j’essaie d’être assez rigoureuse ».

Le patient est venu pour être rassuré pour lui ou pour un membre de sa famille. Il n’avait pas besoin d’ordonnance, mais le fait de l’avoir lui prouve que le médecin l’a pris au sérieux. « Ils vont chez le médecin et ils sont rassurés par les médicaments. Souvent, ils rentrent chez eux, ça va déjà mieux : le fait d’avoir entendu le médecin qui leur a dit « ce n’est pas grave, ce n’est pas un cancer, ce n’est pas ci, ce n’est pas ça, donc tout va bien ». »

Ou alors le médecin rédige un ordonnance pour faire plaisir à quelqu’un mais ce n’est pas ce qu’attendait le patient qui, ainsi, ne se sent pas pris au sérieux. Cette personne est venue pour se plaindre d’un trouble bénin mais derrière cette plainte s’en cachait une autre plus lourde d’ordre physique ou psychologique à laquelle le praticien n’a pas prêté attention. Le patient n’a pas eu l’écoute qu’il attendait pour une angoisse diffuse ou un trouble physique latent plus grave dont il ne savait comment parler. L’ordonnance proposée l’intéresse peu car elle ne correspond pas à ses besoins réels. Il en résulte qu’il prend le traitement sans conviction, pour faire plaisir au praticien. Ce patient développera en lui la sensation que le traitement ne sert à rien.

Le patient accepte le traitement mais n’en devient pas acteur. Il attendait du médecin autre chose qu’une simple ordonnance, une attention, un questionnement. Le fait que le médecin se soit contenté de faire le renouvellement amène la personne à comparer le médecin à un pourvoyeur de produits stupéfiants : « On a un médecin traitant. Les médicaments, on y va parce que voilà. On y va pour chercher notre drogue quotidienne. C’est un peu ça, et puis voilà, sans plus ».

– placebo équilibrée et relation de confiance mutuelle

Le contrat fonctionne correctement des deux côtés à la satisfaction de chacun. Le médecin rédige une ordonnance qui correspond aux attentes du patient parce qu’il sait qu’il a été écouté et respecté dans sa plainte et dans son corps. Le patient a plaisir à recevoir l’ordonnance car il repart avec l’envie de se battre. « Henry, il a des boites, mais elles sont différentes. Gris et jaune, gris et noir, ou gris et bleu. Alors il peut pas se tromper. La doctoresse, elle fait un planning, et comme ça, on sait ».

« Quand on va avec notre prescription chez le pharmacien, moi, je ne lui demande pas qu’il me donne d’équivalent, je fais confiance à mon médecin. »; « J’aime bien mon médecin ».

« Je suis très bien avec mon docteur, ça fait quarante ans. J’ai jamais changé… Quarante ans, il nous connaît tous ; il sait quoi faire ; il nous connaît à fond. Quarante ans ! Vers lequel on a le plus confiance ? C’est toujours le généraliste ».

« (…) Et chez qui je me suis tournée, vers mon généraliste. On a plus confiance au généraliste, qui nous connaît, et qui nous écoute et puis que … et qui nous connaît parce qu’en ce moment je lui dis n’importe quoi, enfin je lui dis tout (…) je me confie voilà, donc c’est toujours vers lui qu’on se renseigne, qu’on se tourne ».

Il est possible que l’échec de nombre de campagnes d’information soit lié au fait qu’une relation de confiance mutuelle n’a pas pu s’établir. « Il y a ça qui se met en place : « Vous aurez le droit à des plus, vous serez bien encadrés, ça sera beaucoup mieux pour vous. » Je leur ai donné la plaquette, et dit : « Montrez ça au docteur. » Mais est-ce qu’ils ont osé le montrer ? Je ne sais pas. Alors là c’est aussi le problème relationnel avec le médecin. Un médecin qui est compétent mais qui reste peut-être un peu lointain et qui n’a pas pu ou pas su établir un courant chaleureux avec ceux ou avec certains de ceux qu’il reçoit.

À l’inverse un médecin peut croire qu’il réussit auprès de ses patients parce qu’il les traite avec un produit coûteux qui leur donne de l’importance. Il oublie ainsi que ce traitement n’aurait pas l’impact constaté si ne s’y ajoutait la plus value de la chaleur humaine qui, elle, est hors de prix. « Un médecin qui traite l’hépatite C chez des personnes précaires, et observe un excellent taux de réussite de 80%, car il travaille avec une équipe qui suit et accompagne des personnes. Ce sont des médicaments très coûteux, mais, avec cet accompagnement, l’observance est maximale et les patients guérissent. « On me donne ce médicament très coûteux, donc je vaux quelque chose pour la société ». Il y a donc des effets autres que la guérison de l’hépatite, le patient regagne de la confiance. Le médicament véhicule quelque chose d’autre ».

– placebo négatif

Il peut résulter de plusieurs causes : effet inverse de ce que le médecin attendait de son placebo ; malentendu avec lui ; placebo qui s’est modifié.

effet inversé de l’attitude placebo du médecin

Lorsque le médecin ne place pas son placebo sur le bon curseur, il peut obtenir l’effet inverse de ce qu’il recherchait, soit parce que le patient ne venait que pour dérouler une plainte et être rassuré auquel cas l’ordonnance et le traitement qui s’en suit perdent leur intérêt à la fin de la consultation ; soit parce que le patient ne s’est pas senti respecté dans ses attentes et pris au sérieux. Le rejet du traitement pour des raisons qui ont trait à la relation qui s’est instaurée entre le patient et le médecin ne doit pas être confondu avec le refus de tout ou partie de l’ordonnance pour des raisons économiques, point qui sera abordé ci-dessous.

Parce que, dans la relation médecin/patient, interfère un vocabulaire, un ressenti psychologique, une méconnaissance de certaines choses, le malentendu peut modifier un placebo qui fonctionnait bien de part et d’autre. « Il y a beaucoup de malentendus. Quand le médecin dit : « On va essayer un nouveau médicament qui pourrait mieux vous soigner », le patient se sent comme un cobaye alors que ce n’est pas un médicament nouveau mais un qui peut être adapté à ce stade de la maladie. »

« Chaque fois que le médecin me voit, il ne parle que de mon poids, il dit que je suis obèse ; il ne cherche pas à comprendre comment cela est arrivé, il ne cherche pas à comprendre que si je suis comme ça, c’est que je mange plus de pâtes parce que je ne peux pas me nourrir avec 5 fruits et légumes par jour. »

Pour quelle raison une personne qui a une lassitude par rapport à la vie voire des envies de suicide se confie-t-elle plus facilement au pharmacien qu’au médecin ? « Un médecin qui a les mêmes compétences si ce n’est nettement supérieures dans ce domaine là par rapport à nous, n’aura pas la même disponibilité, parce que lui il reçoit sur rendez-vous. Et puis, si une personne reste ¾ d’heure dans son bureau pour dire j’ai tel ou tel problème, il va peut-être s’en moquer.

Le malentendu, dans certains cas, se porte sur l’économique : « Des fois, les médecins au lieu de mettre « à renouveler », et bien, ils nous obligent à y aller tous les mois. Donc, on va des fois pour une boîte de médicaments. J’y vais tous les mois alors qu’elle me mettrait « renouveler », je gagnerais une visite ». Parce qu’il est insuffisamment explicite sur son désir de voir tel patient une fois par mois, le médecin donne l’impression que son gain personnel est plus important que le problème de reste à charge que ce patient va devoir supporter.

Placebo équilibré et modifié par le contenu de l’ordonnance :

Le contrat, lors de la visite médicale s’est déroulé correctement et a débouché sur un placebo équilibré. Pourtant, la lecture de l’ordonnance ou l’apparition des boites délivrées par le pharmacien le modifie. L’apparition du médicament générique en place du princeps va créer une sensation de dévalorisation pour le patient. La personne pauvre a toujours peur que quelqu’un exploite sa pauvreté économique en lui vendant des objets à moindre coût et de moindre qualité que le vendeur, par son argumentaire, parera des mêmes qualités que les objets plus chers. La revendication du patient est d’être traité sur un pied d’égalité avec ceux qui ont des moyens économiques plus élevés. L’effet placebo de ce patient pourrait s’exprimer de la manière suivante : « Je me ferai plaisir en me soignant avec des médicaments vrais parce qu’ils sont ceux d’origine. » Le patient qui est sous l’effet de cette déception se soignera et luttera contre la maladie avec moins d’enthousiasme et une arrière-pensée de rancoeur. « Les génériques, ça marche pas toujours ». « Le générique, il me fait rien ». « Ça fait pas le même effet les génériques ». « Il est pas bon ». « (…) il est moins fort ».

Est-ce le produit générique en soi qui est en cause ou est-ce l’absence de dialogue et d’explication de la part du médecin qui, par cette attitude, laisse son patient seul face à un arbitraire qui l’infantilise ? Le devoir du médecin, homme de science, ne serait-il pas de montrer son savoir également sur ce point ? Comme prescripteur, le médecin est sans doute le seul à pouvoir faire passer la pilule du générique. « Quant aux génériques, leur utilisation peut se comprendre en discutant avec les médecins qui, s’ils ne sont pas convaincus, ne feront pas passer les messages pour les génériques. »

« Il y a des médicaments qui ne sont pas supportés par le malade : les génériques, à cause des excipients, ou inefficaces, Parfois, les différents médecins prescrivent des médicaments en plus. Il faudrait mieux qu’ils écoutent les patients, Parfois, on nous oblige à prendre les génériques, sinon on peut ne pas être remboursés.

La modification du placebo équilibré se produit également lorsque le médecin prescrit un traitement en insistant trop sur ses contraintes. Il donne ainsi à son patient l’impression de ne pas lui faire confiance : « …Vous n’ avez pas le droit de faire comme ci ; vous ne devez pas faire comme ça ; vous devez faire ci, vous devez faire ça. C’est bon, on fait comme on peut. « Je sais ce que c’est qu’une alimentation équilibrée. Je n’ai pas attendu qu’ils disent : « 5 fruits et 5 légumes par jour. »

En insistant sur les devoirs négatifs exigés par le traitement, le praticien oublie que l’élan de vie ne peut se fonder que sur des éléments positifs. En outre, en disant ce qu’il ne faut pas, il ne nomme pas avec précision ce que le patient doit mettre en œuvre. La formulation négative laisse un flou. D’autre part, en appuyant sur les droits et devoirs dus au traitement, il oublie que c’est d’abord envers elle que la personne a des droits et devoirs. Or c’est le moral du combattant qui fera la différence entre l’échec et la réussite, la confiance ou le rejet pour le médicament. Le médecin est du côté de la vie et de la bonne santé. Il doit le faire savoir à son patient pour que celui-ci trouve en lui l’énergie de se battre en se soignant. S’il insiste sur les précautions négatives, il se place en technicien au lieu d’être un susciteur de guérison. Dans un cas, la personne a envie de prendre sa vie en main. Dans l’autre, elle se sent niée dans sa capacité d’adulte à comprendre que la guérison ou la bonne santé ont un coût qui n’est pas que celui du médicament.

c) diagnostic caché ou minimisé : le patient est en décalage 

L‘effet « placebo » ne fonctionne pas ou mal car le patient est privé d’une partie de sa combativité du fait qu’il ignore contre quoi il se bat et où doivent se porter ses efforts de résistance. « Je lui dis chaque fois que j’ai un problème quelconque. Je veux qu’il m’explique, qu’il ne me dise pas simplement : « Tiens tu vas prendre ça et ça comme médicaments. » » ; « (…) Il va pas me dire « Tiens aujourd’hui, je te fais ton ordonnance. » Je veux qu’il m’explique le pourquoi et le comment parce que sinon, ça veut dire qu’on prend des médicaments, on sait même pas pourquoi on les prend (…) Nous, il nous explique pas ».

« (…) Donc tu as du faire du forcing pour avoir les infos ».

« Vous savez quand une personne va chez le médecin –et il y a des statistiques qui ont été faites là-dessus–, quand le médecin pose le diagnostic, la personne n’écoute plus. Donc vous pouvez dire n’importe quoi derrière. À partir du moment où vous savez que vous avez telle ou telle maladie, vous pouvez raconter n’importe quoi : la personne n’écoute plus. »

« C’est important que les gens sachent exactement de quoi ils souffrent. Et puis exactement, comment on peut en sortir de cette maladie. Donc ça, c’est à mon avis très important. Je pense que ça fait partie aussi d’une connaissance qui doit être un peu divulguée. Elle se prend, à la limite, plus en charge parce qu’elle sait exactement ce qu’elle a… »

« Quand on a en face de nous quelqu’un qui souffre d’une maladie assez grave, c’est pas toujours facile non plus… Il y a parfois des situations assez difficiles. Il y a des gens qui acceptent, et des gens qui n’acceptent pas du tout. »

Après une visite chez le médecin pour son enfant, une mère arrive à la pharmacie avec toutes les questions qu’elle n’a pas eu la possibilité de poser : elle en garde un sentiment d’impuissance : « Le docteur, il a dit qu’il faut que je diversifie l’alimentation. Mais sans instruction, je la diversifie comment moi ? »… Le pédiatre n’a fait aucun diagnostic, en tout cas ne leur a communiqué aucun diagnostic », constate le pharmacien. Ainsi s’installe un malentendu aggravé par le sentiment d’arbitraire qu’éprouve le patient devant l’incapacité du médecin à délivrer spontanément son diagnostic alors que ce savoir que l’homme de l’art détient sur lui concerne une partie de sa personne qui lui appartient en propre. Ce sentiment d’arbitraire est doublé par un sentiment d’impuissance à ne pouvoir obtenir une information jugée essentielle par le patient dans son combat contre la maladie.

« Il vous dit même pas ce que vous avez, ni quoi, ni comment, c’est pas la peine d’aller voir un médecin. Pour quoi faire ? J’y vais plus, c’est fini maintenant. » ; « à un moment donné, tu dis stop et tu dis : « Il faut que je sache pourquoi j’ai des trucs comme ça, expliquez-moi qu’est-ce qu’il faut faire et quels sont les… ». Non mais, c’est important ça. » ; « J’ai obligé l’interne à me dire, je l’ai bloqué dans son bureau pour lui dire « Dîtes moi vraiment ». « Le problème est que tous les jours, je lui courais après, cet interne.

« On a attendu une heure et demie. Il avait une heure et demie de retard et il avait le culot de dire : « Mais je fais exprès ». » ; « On est convoqué dans une pièce, et puis d’un seul coup, y a une doctoresse, elle nous fait un schéma, elle nous explique par schéma (l’opération). Puis, je la regarde : «  Ben Madame, au lieu de nous faire un schéma et de nous dire après, qu’est-ce qui va se passer, qu’est-ce que vous allez lui faire, vous pouvez pas dire carrément ce que vous faites et après nous expliquer par schéma. Parce que moi un schéma, je comprends rien du tout. Par contre, si vous me l’expliquez correctement, je vais comprendre. »

d) freins psychologiques à la consultation

Avoir développé sous divers angles les relations entre médecin et patient parce qu’elles influeront sur la vision ultérieure du traitement et du médicament, suppose le préalable de la consultation. Il y a des cas où la personne ne consulte pas malgré ses problèmes de santé. Ces freins peuvent être psychologiques ou économiques. Les freins psychologiques proviennent de la peur, du sentiment d’humiliation, du rejet d’un praticien trop « technique », de la méfiance à la suite d’une expérience malheureuse ou d’une erreur de diagnostic

La peur est celle d’une intrusion ou d’une prise de pouvoir sur soi :« La santé, c’est le corps, c’est privé. C’est comme une armoire normande, on la tient bien fermée. » Prise de pouvoir par le médecin ou prise de pouvoir par la maladie :« Moi, ça me fout la trouille. J’ai trop peur d’apprendre quelque chose, trop peur. Je préfère mourir sans savoir ce que j’ai. C’est vrai. Regarde, moi ma vésicule depuis le temps que je dois l’enlever, elle est toujours là. J’ai peur, l’hospitalisation, tout ce qui est médicaments, tout ce qui est traitement». Le fait de tenir debout malgré la maladie prouve à la personne que c’est encore elle qui garde le contrôle de son corps et de sa vie.

Le sentiment d’humiliation est suscité bien souvent par la maladresse du praticien : « Quand il a dit le prix, elle a dit : « Ben, j’ai la CMU. » «  Ah ben dites donc ! Si on avait que des gens comme vous, on ne serait pas beaucoup riche hein ! ». Ben vous savez, vous rangez votre carte de CMU dans votre poche et puis vous ne savez pas si vous les appelez après ». Il peut aussi être le fait d’un spécialiste trop pressé et trop sûr de lui : « Moi, je me suis fait traitée de menteuse par téléphone. Le diabétologue, il avait demandé des radios… Je les avais emmenées, et quand elle est sorti de l’hospitalisation, ils avaient oublié de lui redonner… Je lui téléphone en disant : « Vous avez oublié de lui rendre ». Il me répond : « Non Madame, vous ne nous les avez jamais données. » J’ai dit : « Je sais bien que c’est moi qui vous les ai amenées, je sais bien que c’est moi. » J’avais le médecin au téléphone, c’était pas la secrétaire ou machin, c’était lui. « Je ne demande jamais, vous êtes une affabulatrice qu’il m’a dit. » Et il me raccroche au nez et 10 minutes après, il me retéléphone en me disant : « Ah ! vous aviez raison. Je les ai retrouvées. » Mais il m’a pas dit : « Excusez-moi de ce que je vous ai dit avant ». Le sentiment d’humiliation, quoique diffus, est bien présent lorsqu’il résulte d’une consultation où le praticien s’est beaucoup plus occupé de la pathologie que de la personne : « Chaque fois que le médecin me voit, il ne parle que de mon poids. Il dit que je suis obèse. Il ne cherche pas à comprendre comment cela est arrivé. Il ne cherche pas à comprendre que si je suis comme ça c’est que je mange plus de pâtes parce que je ne peux pas me nourrir avec 5 fruits et légumes par jour ». Le médecin rédige une ordonnance et ne remplit ainsi qu’une partie du contrat, laissant le patient floué dans ses attentes en terme d’écoute et de compréhension pour un problème dont la solution n’est pas en son pouvoir pour des raisons économiques.

Lorsqu’il a la sensation que le médecin lui fait sentir qu’il est seul à détenir le savoir et ne prend pas le temps d’entendre une possible contre indication que seul le patient peut lui communiquer, le dit patient ne se sent pas pris au sérieux, ni considéré comme une personne . « Le problème des médecins, que ça soit à l’hôpital, ou n’importe quel médecin, c’est quand t’es face à eux, quand t’as plein de médicaments à prendre, t’as beau leur dire mais tous les médicaments pris les uns derrière les autres, comptez combien ça fait par jour, et comptez au bout de combien de médicaments mélangés ! Qu’est-ce que ça peut faire dans l’estomac ? ». Ce sentiment d’être un objet à cause du cloisonnement entre spécialistes s’aggrave lorsque le consulté se révèle interchangeable à l’intérieur d’une spécialité au mépris de tout suivi cohérent : « Je ne veux plus voir un diabétologue, c’est clair. C’est net, je ne veux plus voir un spécialiste : ils te prennent pour des cons tout le temps. T’en vois un, et 6 mois après c’est plus le même à l’hôpital. T’en vois un autre, et il te change tout ton traitement. Et chaque fois ,c’est comme ça… Après on s’en sort plus ». Et la personne en garde l’impression d’avoir été prise pour un cobaye.

Il arrive que le médecin prescrive mais ne vérifie pas la faisabilité de ses conseils parce que, sans doute, il est aveuglé par ce qu’il croit être une évidence et aussi parce qu’il n’a pas poussé ses investigations assez loin lors de la prise de contact pour être au courant des difficultés matérielles de son patient. C’est ainsi que la prise d’un anticoagulant oral vire au cauchemar : « La doctoresse disait : « Ce qui reste, vous mettez dans quelque chose, un petit machin. » Comme je n’ai qu’une tasse, je le mettais dans une tasse. Tiens, je disais : « voilà un demi, un quart etc.  Je devenais dingue avec ces médicaments ». C’est ainsi que le régime alimentaire qui doit compléter le traitement ne pourra être suivi ancrant, peut-être dans l’esprit du spécialiste, le préjugé que la personne ne fait rien pour améliorer sa santé : «(…)  Mais quand il sort un régime par un diabétologue, tu regardes le machin mais tu rigoles ! Tu peux pas faire la moitié. Si, manger du riz et des pâtes, ça tu peux. On y arrive. Non mais, c’est vrai ! » Il en est de même pour certains compléments alimentaires non remboursés apparemment simples à prendre mais hors de portée de la bourse qui doit compter chacun de ses euros : « Le gars qui fait de l’hypertension,…. acheter de l’oméga 3 ! Tu rêves ».

En cas d’urgence, le médecin de garde se déplacera, ce qui ne signifie pas que le malade sera soigné pour autant : « Si le médecin, il te dit : «  Euh… vous allez dans une pharmacie d’urgence ». Vous allez où ? Je ne sais pas. Il a pas appelé. Rien ! Ben, tu dois tu démerder pour aller dans une pharmacie d’urgence parce que souvent les pharmacies sont pas à côté de chez toi. C’est pas la première qui est là, donc t’as pas de moyens de locomotion. C’est un peu galère quand même… ».

L‘erreur de diagnostic provoquera méfiance envers le médecin, envers tout traitement et envers l’institution hospitalière comme dans les deux cas qui suivent :

« Quinze jours après elle est en phase terminale d’un cancer ! Moi je veux bien, mais ce n’est pas si rapide quand même ! Parce que sur le même scanner, quinze jours avant elle n’avait strictement rien. Parce que quinze jours avant, elle n’était pas malade, elle racontait des conneries ! »

« Quelque part, on reste réticent, on reste méfiant et réticent. S’il faut faire soigner mon fils, je vais le faire soigner. Mais je reste réticente. J’ai toujours la peur au ventre quand ça concerne J. Pas moi ! Mais J. oui. (…) la peur qu’on m’annonce toujours une mauvaise nouvelle… »

III Freins économiques à la consultation

Pour traiter le thème des difficultés ou impossibilités à se soigner lorsqu’on est très pauvre, nous ferons de larges emprunts à la thèse de médecine Inégalités d’accès aux soins de Xavier Dorléac. Dans cette thèse, l’auteur pointe le manque d’information des médecins sur les dispositifs mis en place pour y pallier et cite un article de la revue Prescrire de 2010 qui présentait une enquête auprès de patients précarisés révélant que« beaucoup ne connaissent pas leurs droits en matière d’accès aux soins. Quand elles les  connaissent et ont essayé de les faire valoir, elles ont été confrontées à de nombreux obstacles(70% des « personnes « interrogées): langue, problèmes administratifs, peur des arrestations, coût des soins, refus de soins ». Il cite de même un article d’avril 2014 du quotidien numérique « Le Généraliste » qui souligne « l’importance du non « recours à l’Allocation Complémentaire Santé1 et l’importance de sensibiliser les « médecins à la question. »2

a) causes de non usage du droit à la CMU

Les pharmaciens interrogés pour cette étude font le constat que « c’est des problèmes administratifs, parce qu’ils y ont droit mais ils ne le font pas. Ils ne savent pas comment faire. » « Il y a aussi des gens qui pourraient avoir une CMU et qui ne le font pas alors c’est une autre frange de personnes. Des gens qui ne font pas leur démarches pour différentes raisons psychologiques et tout, qui ne sont peut-être pas encadrées qui ne veulent peut-être pas demander ; il y a des gens qui ne préfèrent pas demander aussi ; il y a ceux qui n’osent pas qui sont peut-être plus discrets qui ne savent pas, qui ne vont jamais voir l’assistante sociale, alors ces gens-là n’ont rien du tout… »

Un autre parle de ses expériences d’information auprès de personnes étrangères : « il y a aussi le problème des personnes de l’étranger, d’origine étrangère, qui manipulent peu ou pas du tout la langue française, qui ne savent pas lire. Bon, ces gens-là, il y a un problème de paperasserie. On leur dit de l’amener ici et on les fait si possible, quitte à aller les déposer à la Sécu aussi. On fait tout. Même en disant ça, souvent ils ne l’apportent pas. Souvent, ce sont des gens qui sont seuls, qui font partie de rien du tout. Alors on n’arrive pas à les toucher. Des personnes qu’on ne peut pas toucher parce qu’ils n’ont ni assistante sociale. Ils ne voient personne. Donc on les voit ici, on explique un petit peu mais après ils disparaissent. On ne les voit plus. » Un autre pointe aussi l’impossibilité d’aider ces personnes par manque d’information sur les dispositifs existants : « Les personnes qui arrivent d’autres pays, il y a sûrement des prises en charge. Il y a des choses qui sont faites, quand même, pour être mieux armées dans la vie. Je ne sais pas ce qui existent pour eux, comme possibilités. Ce serait bien d’avoir une meilleure information sur les aides possibles par rapport à ces gens là, on ne connaît pas bien les démarches, on ne sait pas trop leur dire quoi faire, s’ils ont un problème précis. »

« D’autres obstacles sont identifiés par les usagers interrogés lors du rapport ONPES en 2013. Ils rapportent une « situation qu’il est préférable de dissimuler ». En effet dès le milieu des années 2000 des enquêtes ont été menées sur la perception des dispositifs d’assistance par les allocataires eux-mêmes. Elles montraient que près de la moitié des allocataires du RMI considéraient que percevoir ce dispositif était dévalorisant… Ils rapportent également «un sentiment d’humiliation vécu comme une défaillance des droits » : « Si je vais à la sécu, il va y avoir un petit sourire : “oh, elle est dans une triste situation…”. Ce n’est pas de la compassion. C’est autre chose. C’est difficile. C’est humiliant ». (Femme seule élevant trois enfants dont deux lourdement malades).3 »

Dans une étude datée d’avril 2023, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques fait le même constat : Près de quatre personnes enquêtées sur dix considèrent que le manque d’information sur les aides est la cause principale du non-recours. La seconde raison la plus avancée, par près d’une personne sur quatre, est la complexité des démarches (23 %), suivie par la crainte des conséquences négatives (18 %) et le souhait de s’en sortir soi-même sans dépendre de l’aide sociale ou de ne pas être considéré comme un assisté (16 %). Le manque d’information, s’il reste le motif principal de non-recours le plus souvent évoqué par les personnes interrogées, l’est toutefois de moins en moins. Sa part a baissé de 17 points de pourcentage entre 2016 et 2021, essentiellement au profit de la crainte de subir des conséquences négatives.

« On est montré du doigt : la CMU c‘est une étoile jaune ». « Ce n’est pas que l’autre qui est dans la salle d’attente qui paie sa consultation il dit : « oh il ne paie pas ! Le sentiment de honte !  ». « Moi j’entends beaucoup dire, que ceux qui ont la CMU c’est des profiteurs ». « Et ça c’est le plus important, la carte CMU, elle changera jamais la honte que tu peux avoir ». « La façon de recevoir les personnes CMU et de marquer la différence des personnes en public, ce n’est pas génial (…) T’es catalogué avant de rentrer ».

Parmi les personnes qui connaissent leurs droits, il y a ceux qui y ont renoncé, découragés par une administration qui réclame des papiers apparemment manquants alors qu’ils ont été réclamés et fournis une première fois. C’est ainsi qu’il peut y avoir refus de droit sans explication pour un papier manquant qui n’a pas été réclamé : « l’exemple est celui d’un couple à qui la CMU avait été refusée deux ans auparavant. Il y a un manque d’information concernant la motivation de ce refus, car en fait, il ne leur manquait qu’un papier pour que leur dossier soit complet et qu’il puisse être traité. Le personnel de la sécu ne les a pas renseignés à l’époque. Par hasard, au cours d’autres démarches auprès de la sécu, la personne qui les reçoit (« il était gentil ») les aide à régulariser leur situation. Pendant 2 ans, ils ont retardé autant que possible des soins dont ils pouvaient avoir besoin, n’ayant pas de couverture sociale en rapport avec leurs revenus. » Certains allèguent la perte de temps dans les files d’attente ou des horaires d’ouverture des bureaux qui, souvent, ne vont pas au-delà de 16h30 peuvent être rédhibitoires pour ceux qui n’osent s’absenter de leur travail pour aller renouveler leur carte CMU.

Ces problèmes administratifs se retrouvent également pour d’autres dispositifs que la CMU : « Là, je me bats pour une dame depuis trois mois, elle a eu déjà un an d’aide spéciale de la Sécu, on a osé répondre : « Je n’avais pas fait le dossier. Je pensais qu’elle serait morte avant. » Ça m’a fait mal et elle ne l’a toujours pas en trois mois son dossier. »

Restent les personnes qui tardent à renouveler leurs droits à la CMU : « J’ai refait ma CMU et j’étais en retard. J’attendais, moi, d’avoir reçu ma lettre pour mettre ma carte à jour au 31. C’était marqué carte à renouveler à partir du 31 octobre. C’est-à-dire que pendant un mois ils te prolongent tes droits. Pendant un mois, jusqu’à ce qu’ils t’envoient tes nouveaux papiers. Ça, je ne le savais pas. Donc je ne l’avais pas fait et je me suis fait engueuler, »

b) Le reste à charge

Une fois les personnes informées et dûment munies de droits pour la prise en charge de soins ou de médicaments, se profile le souci du reste à charge. «Indirectement lié au budget, il est également un écueil. En effet les revenus les plus faibles ont été davantage fragilisés par la création des franchises. Elles ont majoré le risque de renoncement aux soins comme le confirme une étude du Haut Conseil réalisée en 2011. Elle montre que les principales causes de renoncement aux soins pour raison financière chez les bénéficiaires de la CMUC (à 47%) sont les soins, traitements ou médicaments envisagés n’étant pas ou mal remboursés». » « Il est également lié à l’inflation des dépenses de santé qui ont augmenté deux fois plus rapidement que les revenus.1 » Inflation des dépenses de santé mais aussi perte de pouvoir d’achat : « Il n’y a pas si longtemps avec le RSA, on vivait jusqu’au 20 du mois. Aujourd’hui, on est démuni à partir du 10… Et encore, le régime, c’est pâtes, jambon, œufs et c’est tout. »

« Le problème c’est le tiers payant chez le médecin. Le tiers payant chez le médecin existe rarement ». « (…) ils peuvent pas aller à 3 chez le médecin. ( 69 euros sur le mois … !) S’il y a un pépin, c’est la catastrophe dans la famille ».

Dans le reste à charge, on trouve plusieurs dispositions administratives qui peuvent se cumuler à savoir la franchise et les possibilités de dépassement d’honoraire pour les médecins.

– La franchise 

À propos de cette somme qui reste à la charge du patient pour chaque consultation, puis pour chaque unité de son ordonnance « une étude récente montre que la probabilité de modifier la demande de médicaments suite à la mise en place de franchise est influencée par le niveau de revenu et l’état de santé. Ainsi, ces franchises touchent majoritairement les individus en mauvais états de santé et ayant de bas revenus. 2 »

« On ne va pas chez le Docteur après le 5 du mois, un euro c’est beaucoup!» « Un euro, Madame, c’est mon pain de la semaine. Je suis vieille et pas riche vous savez, alors le Docteur, c’est pas pour moi ».

« …il y a la franchise quand même avec parce que…

Oui oui, 50 cts par boite !

C’est énorme hein! quand même parce que…

Ah oui ça monte vite ! »

– « Par exemple le Dafalgan, c’est quand même quelque chose de très courant et ça reste longtemps, alors pourquoi il y en a que 8 dans une boite ? »

«  Quand le médecin met le nombre de boites, par exemple, pour un pansement, que le traitement est inefficace et qu’il faut changer de pansements, on paye 50 centimes par boites. »

« Le générique il coûtait moins cher, de 15 centimes. Sauf que le spasfon c’est 30 tablettes, et le générique c’est 10. Donc tu as trois boites de génériques pour la même distribution qu’une boite de spasfon, soit pour nous, plus 3 fois 50 centimes parce que ça fait tu as trois boites ! Tu as 3 fois, admettons 2,50, au lieu d’une fois 2,81 d’économie soit trois fois 31 centimes pour la sécu économisé et 1, 50 euros dans le pif pour nous avec la franchise … cherche le gagnant. Mais c’était un générique quoi ! Donc ça vaut le coup quand même ? Parce que vous savez, on a beaucoup de médicaments ».

– Les dépassements d’honoraires

Ils pèsent lourdement dans la décision des personnes de ne pas consulter. Ces dépassements concernent autant la médecine de secteur 1 que celle de secteur 2. Les médecins de secteur 1ont ainsi une autorisation à dépassement d’honoraire lorsqu’ils considèrent qu’il y a une « exigence particulière du patient.

« On ne comprend pas quand on est obligé de payer le médecin 10 € en plus, alors qu’on a la CMU. » « C’est lié à une pratique encouragée par les CPAM, qui consiste à demander aux patients qui consultent en dehors des horaires, en urgence, à domicile, un dépassement pour exigence particulière du patient (EPP). Ceci est supposé aider à responsabiliser les patients sur la dépense de santé. Comme on n’a pas le droit de refuser les patients, on trouve un autre moyen pour les dissuader de venir au cabinet. » « L’autorisation de dépassement pour les secteurs 1 amène à des dérives. Si les malades sont hors parcours, les médecins font ce qu’ils veulent : on voit sur les dossiers PPP : le patient n’est pas venu, pas prévenu, c’est un motif pour le prendre la prochaine fois avec un dépassement EPP. »

Ces dépassements d’honoraires « sont également un frein puisqu’à l’instar des franchises, ils fragilisent les personnes vivant en précarité, dans la mesure où une participation non ou peu remboursée est demandée à l’usager. En France, 25% des médecins, dont 40 % des médecins spécialistes, sont inscrits en secteur 2. Ces derniers  peuvent pratiquer des dépassements d’honoraires qui, en moyenne, s’élèvent à 54% du tarif conventionné  de l’Assurance Maladie. D’autre part, en 2011, 22% des patients bénéficiaires de la CMU Complémentaire ayant renoncé aux soins pour « raison financière l’ont fait parce que « le professionnel de santé a demandé une participation financière en « plus du montant pris en charge par la CMU Complémentaire ».3

« J’ai été voir un cardiologue, celui-là n’a pas voulu prendre ma carte vitale, et pourtant les soins, il me les fallait. J’ai réglé la totalité de mes soins. La sécurité sociale met six semaines après pour me rembourser, ce qui est désastreux quand on est invalide. »

À ces frais de consultation supplémentaire, il faut ajouter, pour les personnes qui vivent à la campagne, le coût, la durée et la pénibilité du déplacement :« Les spécialistes, il y a le dépassement d’honoraire, ça coûte cher, et puis il y a les franchises, ça fait pratiquement 150 euros par an … et on vit à la campagne, il y a les kilomètres, on a un bus le matin, un bus le soir. » Le suivi en milieu rural cumule en effet l’éloignement géographique, les carences de moyen de transport personnel et les franchises sur les transports médicalisés.

– Les déremboursements

Aux frais induits par la franchise, les dépassements d’honoraires, les frais de déplacement, il faut ajouter les déremboursements : « Il y a de plus en plus de produits déremboursés comme pour les oreilles, tout ce qui y est style, bouchon de cérumen, pour dissoudre, donc là il y a une petite avance à payer, tout ce qui est pour nettoyer le nez, le sérum physiologique, qui n’est plus remboursé aussi, c’est des petites choses sans grosse conséquence. » Ce à quoi une jeune mère de famille répond : « C’est vrai que le sérum physiologique, c’est un vrai problème ». Ce problème du remboursement est surtout constaté par le pharmacien qui est en première ligne pour entendre et constater le désarroi de ceux qui ne peuvent plus se soigner, de ce fait. Il sera donc également traité dans la seconde partie de cette étude qui va suivre le pharmacien à sa place et dans son rôle.

1Xavier Dorléac Inégalités d’accès aux soins ; thèse de médecine ; juin 2014

2ibidem

3Xavier Dorléac Inégalités d’accès aux soins ; thèse de médecine ; juin 2014