Ombre et lumière pour la plante
La nuit sans étoile, la nuit sombre et sans lune veille sur la germination de la graine, l’enveloppe de sa douceur et de l’espoir du jour qui lui succèdera. La nuit sans étoile est lourde des nuages qui la traversent, nuages lourds de menaces ? Nuages lourds de l’eau qu’ils portent, de cette eau qu’attend la graine dans sa soif de développement ? Nuage, toi qui traverses le ciel, superbe d’indifférence, garderas-tu cette eau qui te rend si lourd, si gris, si triste ? La laisseras-tu filer vers le sol où la terre la réclame pour transmettre aux jeunes racines la nourriture dont elles ont besoin ? Nuage si sombre, lâche cette eau utile à d’autres et monte, mince filet d’argent, servir de gloire au soleil levant !
La nuit sans nuage berce la graine de sa clarté sans relief. Le soleil fait peur à la graine : par sa lumière dure, violente même, il tape sur la terre, boit son eau, privant la graine de son nid humide qui, en l’amollissant la prépare à la vie. La terre alors se resserre pour le préserver des ardeurs de l’astre du jour. À l’inverse, sous la clarté lunaire, la terre s’entrouvre. Sa lumière froide et douce parvient à la graine, l’apprivoise, la rassure, l’appelle infiniment, patiemment, à risquer ses plantules vers l’extérieur. Chaque nuit, ses rayons discrets trace à travers la terre un chemin pour les premières tiges. Lumière de la nuit, qui agit dans l’ombre en auxiliaire de la terre pour la germination de la graine.
Au jour levé, le soleil chauffe la terre qui a été baignée par la pluie délestée par le nuage. Sa chaleur communique l’impatience de la vie. à la graine qui gorgée de nourriture par la terre humide risque sa première tige au dehors laquelle se fortifie à cette lumière qui l’oblige à se dresser vers elle. À la nuit qui succède, la lune, par sa douceur rassurante, pénétrante, parle à l’ombre, à la graine dans l’ombre, l’incite à lâcher d’autres minuscules tiges. Lumière de l’ombre, elle aide aussi la plante en devenir à constituer le royaume d’ombre nourricière qui lui donnera son assurance et son affermissement face au soleil. Tige à tige, la plante sort et le soleil l’incite à grandir, à développer ses rameaux, à sortir ses feuilles. Racine après racine, la plante crée son équilibre entre l’ombre et la lumière, entre le soleil et la lune, deux lumières qui l’enveloppent, tour à tour, créatrice et incitatrice dans la part qui leur revient. Air, vent et terre sont les médiateurs qui tempèrent froideur et chaleur.
Ombre et lumière à l’aune du non dit
Si la graine a besoin pour germer de la lumière qui l’appelle à sortir, la plante aura besoin de l’ombre fournie par la terre en profondeur pour rester protéger d’une force qui pourrait l’anéantir. C’est ainsi que la plante se nourrit autant par les racines qui demeurent invisibles que par la lumière. Il en est de même pour nous, les humains, qui avons autant besoin d’ombre que de lumière pour vivre, grandir, nous adapter. Dans l’ombre se trouvent nos racines, notre transgénérationnel, le trésor des possibles, la vie intérieure. La lumière provient de la relation aux autres, de la vie sociale et familiale, des livres et de tout ce qui vient de l’extérieur.
L’ombre protège les racines (celles des archétypes de l’humanité, celles de son évolution comme celles du transgénérationnel familial). Elle favorise la constitution d’une instance qui recèle les possibles. Elle protège la maturation de la vie intérieure qui se nourrit autant des apports de l’ombre que de ceux de la lumière, mais a besoin, pour les faire siens, du silence et du non temps de l’ombre. Dans ce non temps, elle trouve la sérénité nécessaire à son rythme propre, à sa pulsation particulière. La vie intérieure est comme une graine une et multiple. Toujours en train de germer et toujours graine. Graine unique dont sont issues d’autres graines qui, tour à tour, arrivent à maturation et poussent vers la lumière leur tige apparemment frêle et déjà forte par la nourriture puisée à l’ombre. Il faut de la force pour faire le trajet vers la lumière. Nombre de graines trop hâtives ou trop fragiles s’épuisent dans ce parcours. Il faut aussi de la vigueur pour rencontrer la lumière, jouir de sa clarté et de sa chaleur. De jeunes pousses brûlent à son contact. Certaines meurent de soif parce qu’en quittant l’ombre, elles ont cru pouvoir se passer d’elle et de la source qui avait rendu fertile la terre qui les portait. La terre baignée par la source avait libéré la nourriture qu’elle contenait. Elles ont cru que, seule, la terre était nourricière, mais la terre sans l’eau est stérile.
La lumière représente la vie sociale, les actes du quotidien, la relation aux autres. La lumière, c’est la mise à l’épreuve de ce que la vie intérieure a fait germer car elle confronte au réel ce qui restait potentiel tant que c’était à l’ombre. La lumière, c’est la vie au risque de l’autre. C’est la découverte de la fragilité dans la force, l’expérience des limites au contact, à la friction de l’autre. C’est aussi la découverte de la peur et la question du quoi en faire. La peur pose à la jeune pousse la question du choix de vie entre la force et la fragilité. Elle pose aussi la question de la place donnée à l’ombre pour la vie. Si la fragilité est privilégiée, la peur va prendre de la force à la force et retourner dans l’ombre où elle va se mettre à agir de façon indépendante. La jeune pousse va alors se replier sur une nostalgie du séjour dans l’ombre, se mettre dans une position de moindre prise à l’autre. Elle va végéter, la lumière devenant impuissante contre l’emprise de l’ombre car les feuilles qui, seules, peuvent bénéficier des apports de la lumière ne peuvent s’éployer.