Sommaire
Parc botanique de Crète
Préambule
« Carambole (averrhoa carambola), pomelo (citrus maxima), asparagus setaceus, jaboticaba (myrciaria cauliflora), poivrier (piper auritum), bananier d’Abyssinie, papaye…
– Au secours ! C’est quoi ? Un inventaire à la Prévert.
– Tu es en plein dans le vert, mais il n’y a pas de pré.
– Goyaves, jujubes, kumquat, bergamotier, ruta graveolens, basilic arbustif…
– Ça y est ! Une avalanche de vert si près de moi.
– Cyprès ? Mais bien sûr, j’étais en train de les oublier. Merci de me les rappeler… Kaki, physalis, pins, cèdre du Liban, aloe vera…
– Et voilà Vera, et les hommes où ils sont ?
– En voilà ! Geranium, pelargonium, schifflera, hortensia, begonia, lantanas… Et vive la botanique !
– C’est ça le hic et j’en suis vert, dis !
– Reviens sur terre, tu n’as aucun talent comme musicien.
– Et toi ?
Au programme de ce jour du 11 octobre, un lieu qui, d’une plante à l’autre, des régions froides, tempérées ou subtropicales, nous a menés à la découverte d’une variété abondante de prunus, citrus, bananiers. Un lieu qui se situe aux pieds des Levka Ori (les Montagnes blanches, enserré par elles à mi-pente d’une gorge, façon vallée alpine du côté de Nice. Un lieu qui fut élaboré sur des terres dont 6000 oliviers avaient disparu après un incendie, en 2003. Certains de ces oliviers avaient plus de quatre cents ans. Çà et là, sont exposés les carcasses de troncs noircis et brûlés de l’intérieur qui brandissent vers le ciel des bras amputés, telles des sculptures contemporaines ou, peut-être, archaïquement minoennes. Ce noir si total sur le bleu si profond : je pense à une publicité sur le Portugal qui proclamait que là-bas « le noir est couleur ».
L‘incendie ? Il fut provoqué par un vent venu en maraude depuis l’Afrique. Ces collines boisées et vertes, quel contraste avec le désert nu et désolé dont il venait ! Quelle injustice qu’il y ait des coins de la planète où les plantes habillent les reliefs par la variété de leurs couleurs, alors que d’autres en sont si pauvres. Pris d’une violente crise de jalousie, il gonfla ses joues pour en sortir une tempête tout aussi violente. Impossible d’arracher des arbres ? Et ce pylône électrique, si je m’acharne un peu ? un fil se rompit. Du court-circuit qui s’ensuivit se développa un incendie que le vent toujours aussi vengeur s’acharna à attiser tant qu’il le put. Lorsqu’il n’y eut plus que la terre nue, il repartit, apaisé, vers ses contrées lointaines. Quelques années plus tard, quel ne fut pas son dépit de constater la déclinaison de centaines de verts, de couleurs flamboyantes, éclatantes, sages ou discrètes. Au désert qu’il était si fier d’avoir créé suc-cédait un amoncellement de plantes, pire que ce qu’il avait détruit. Évidemment, il ignorait que les Crétois sont aussi tenaces et coriaces que les mulets corses, pour parler de ceux que je connais. Il ignorait que l’un d’eux, Pétros Marinakis aidé par ses frères trouverait l’énergie, le financement pour faire revivre ce désert en un jardin botanique utilisant toutes les ressources d’un microclimat exceptionnel.
La nuit précédente, il avait plu abondamment, nous rappelant que l’automne s’installait ici pour de bon. Le sol était humide. Nous suivons un parcours sinueux de terrasses qui s’échelonnent les unes au-dessus des autres, sur un sentier montagnard qui épouse les accidents du terrain sur 20ha et 2,5km. Protégées par la voûte d’arbres des terrasses supérieures, les plantes du monde entier s’y côtoient dans un fouillis semi ordonné, la voûte leur distribuant l’ombre ou la lumière dont elles ont besoin. Lorsque la pluie se met à tomber à grosses gouttes bien pressées, nous aussi, nous sommes bien contents d’y être dessous. Mouillés nous serons mais nous éviterons l’effet serpillière.
Durant plus de deux heures, je m’amuse à découvrir des plantes que je connaissais sous d’autres formes, tandis que Daniel veille à ce que je prenne des photos représentatives du lieu en les accolant avec la pancarte qui cite le nom des plantes ainsi repérées. Je connaissais trois variétés d’origan, j’en découvre bien d’autres. Je vois des plantes qui m’étaient familières sous d’autres conditionnements (en pots comme plantes d’appartement) ou parce qu’elles appartenaient à d’autres cieux, les hortensias, par exemple qui, heureusement, ne sont pas aussi majestueux que ceux de la Bretagne, quoique… les kumquats dont j’ai découvert l’existence en allant manger dans un restaurant chinois à côté de chez nous, le jour de mon retour de la maternité, à la naissance de notre fille aînée. J’ai également été en joie à la vue, en vrai et en terre, des aspidistras chers à la bonne société anglaise des dix-neuvième et vingtième siècles et à ses romanciers. Pour ce qui est de mes attentes particulières, j’ai éprouvé une petite déception en ne retrouvant pas, hormis quelques spécimens, la flore méditerranéenne que je connais.
Nous sommes en présence d’un exemple de permaculture/agroforesterie soigneusement raisonnée et entretenue. Les hautes frondaisons de certains arbres sont aménagés pour apporter toute la lumière dont les plantes plus petites ont besoin tout en les préservant de la brûlure du soleil ou d’une trop grande chaleur et en épargnant les ressources humides du sol. L’ensemble donne une impression de plantes sauvages qui poussent en toute liberté, sauf que leur espace est strictement limité afin qu’elles n’empiètent pas sur celui de leurs voisines. Elles cohabitent ainsi en bon voisinage grâce à un soin constant apporté par les hommes. Je ne peux m’empêcher de revoir le triste spectacle du pourtour au lac de Kournas où la salsepareille et les ronces de mûres font ce qu’elles peuvent pour étouffer les fleurs et où la main de l’homme n’intervient que pour contrer une pousse anarchique qui gênerait la circulation.
Le parcours en terrasses successives qui structure ce domaine donne à voir le relief qu’il domine et fait songer aux difficultés rencontrées par ceux qui tiraient leur subsistance dans de tels endroits (j’ai re-vu le jardin nourricier tout aussi abrupt de ma famille corse). Tout en bas, le lit ample du cours d’eau à sec nous a fait penser à ce qui se passe parfois lorsque les cieux se chargent de le remplir.
Arrivés en bas du parcours, nous découvrons un étang où s’ébattent joyeusement des canards tandis que des oies et des paons jouent les indifférents sur le passage des humains. Nous passons devant un enclos où des kri-kri promènent une nonchalance non dénuée de méfiance. La preuve ? Il et elle courent à l’autre bout, au moment où je veux les photographier. Ils ressemblent beaucoup au petit chevreau en bois recouvert de peau de chèvre, que m’avait offert mon parrain corse. Derrière un bâtiment, le potager qui fournit le restaurant se laisse entrevoir. Pendant que nous y sommes, j’examine la hauteur de la digue, tant la configuration des lieux me fait penser au désastre récent de Saint-Martin-de-Vésubie. Ce que je vois me rassure.
Fin de l’intermède fermier et reprise du parcours et de la découverte botanique en remontant par un autre versant. Là, j’émets un petit bémol à cette visite : moi qui ai, parfois, besoin de m’agripper à une rambarde lors de fortes montées, je suis surprise par des salsepareilles et des rosiers lianes qui, sans vergogne, s’ingénient à les coloniser par endroits. Tout au long de cette remontée, un paon tout blanc jouera à cache-cache avec nous, d’une terrasse à l’autre. Quant à la pluie, elle nous aura tenu une partition virtuose en montrant toute l’étendue des variations dont elle est capable : tantôt drue à grosses gouttes, tantôt menue en fin rideau, tantôt une pause, et ça repart en vagues qui se succèdent. Au final, nous étions suffisamment arrosés pour n’avoir aucun goût à sentir nos dos mouillés sur le dos sec des sièges.
Après la pluie le beau temps : nous avons été nous sécher et nous restaurer au restaurant du parc. Nous avions l’intention de manger crétois tout au long de notre séjour et ne voulions pas de « cuisine cré-toise créative ». Ce que nous avons mangé en était par les touches d’agrumes et de « citrus » divers mélangés au légumes et ce fut fort bon : pitas fourrés au fromage, aux épinards et aux oignons mi-cuits ; assiette de légumes cuits à l’étouffée : pommes de terre, tomates, poivrons rouge et vert, une courgette et une aubergine complètes coupées en morceaux, maki, orange en quartiers. Pendant que nous mangeons, le soleil apparaît, tellement chaud à travers les larges baies devant lesquels nous nous sommes installés pour ne rien perdre du paysage, que les serveurs lèvent les vitres une à une. Nous sommes alors baignés par le soleil et rafraîchis par une agréable brise.
À propos, les citrus ! Grande découverte ! Quelle diversité passionnante au cours de la visite ! Et comme Daniel s’est demandé d’où il venaient, en femme obligeante, toujours prête à satisfaire son mari, j’ai effectué quelques recherches avec pour conséquence, ô lecteur, quelques lignes supplémentaires à lire. Pour ta gouverne, apprends donc que le citrus est originaire d’une région allant de l’Inde à l’Indonésie. À l’origine, il se subdivisait en trois espèces : citrus maxima (pamplemousse), citrus reticulata (mandarine), citrus medica (cédrat), papedas. Des croisements spontanés entre l’espèce pamplemousse et l’espèce mandarine ont donné le citrus sinensis (oranger) et le citrus aurantium (bigaradier). Le citrus lemon (citron) fut un hybride de cédratier et de bigaradier.
La domestication et la culture de ces agrumes se développa, tout d’abord en Asie pour migrer ensuite en Mésopotamie, vers -1000 avant d’atteindre le Bassin méditerranéen en Égypte et en Grèce, entre -800 et -400. Les Grecs d’alors nommaient le cédratier « Pomme de Médie », ce qui indique sa provenance depuis la Mésopotamie, devenue royaume des Mèdes avant de devenir celui des Perses. À Pompéi, des dessins qui ressemblent à des citrons et des cédrats prouvent, qu’en 73 de notre ère, les riches
Romains connaissaient ces fruits. Bigaradier, pamplemousse, citronnier, cédratier s’introduisent dans les vergers méditerranéens entre les 10ème et 17ème siècles, grâce aux échanges commerciaux menés par les Maures, les Génois et les Portugais. L’orange douce ne fait son apparition qu’au 15ème siècle et la madarine ne sort de la Chine qu’au 18ème. La culture d’espèces diverses dans des zones proches a suscité de nouvelles espèces hybrides : bergamote, clémentine, cédrat corse. Quant au pomelo si goûté sur nos tables, il est le fruit de l’amour d’un jour entre un pamplemoussier et un oranger, et cela se passait dans les Caraïbes. En tant que Lorrains, nous nous sommes intéressés à un citrus particulier, à savoir le bergamotier dont le fruit fut rapporté à Nancy à la fin du 15éme siècle par un duc de Lorraine, qui était aussi roi de Sicile, pour y faire des confiseries et parfumer les plats. Au 18ème siècle fut créé un délicieux bonbon plat.
Chania : balade au crépuscule
Comme la veille, nous contournons les arsenaux pour retrouver le port. À la lumière du soleil couchant, les maisons colorées des anciens vénitiens prennent les teintes une peu sucrées de contes de fées. Les rayons de cette lumière rase atténue la masse brute de la mosquée des janissaires, l’auréole d’une certaine paix. En réalité, elle s’appelle Kioutsouk Hassan Pacha et fut le premier édifice religieux construit après la prise de la ville pour servir de monument aux janissaires qui y sont enterrés à l’arrière du bâtiment. Sur le terre plein qui fait face à sa porte, stationnent désormais des calèches qui, à cette heure, promènent leurs derniers visiteurs. De là où nous sommes, la rive du port qui nous fait face est déjà plongée dans une semi-obscurité, tel un décor de théâtre qui attend les feux de la rampe pour le début du spectacle. Lorsque nous y reviendrons à la nuit tombée, les teinte de rouge et d’ocre, enfin illuminées auront pris les teintes de sucres d’orge.
Continuant notre flânerie, nous traversons le port pour aller sur l’autre rive et découvrir un décor d’ocre, de cuivre et de bronze pour une scène moirée dont la couleur d’ardoise semble être bordée de colonnes en laiton. Au milieu, la mosquée dont les murs ajourés sertissent, telle une bague, le chaton de son dôme. Autour d’elle, des bâtiments en retrait lui font écrin. Fort Firkas est l’un d’eux, bâtisse fortifiée construite par les Vénitiens pour contrôler l’entrée du port et des bateaux. Il abrite maintenant le musée maritime et s’enorgueillit d’être le premier où fut hissé, officiellement, le drapeau grec.
Désireux de rallier le marché construit, au début du 19ème, sur le modèle du marché de Marseille, nous prenons la rue du quartier populaire de Splantzia, derrière le port et les arsenaux. Nous longeons ce qui reste des structures de défense vénitiennes avec rempart à mâchicoulis et tours à intervalles réguliers dont la majesté patriarcale se pare, à ses sommets, de maisons et de balcons. Certaines maisons aux toits plats présentent les fameuses tringles pour un étage futur. Comme hier, nous passons devant la fosse qui abrite les fondations de la maison minoenne de -3500 où fut trouvée trois cents jarres en bon état, des inscriptions et des bijoux. Nous ressortons un peu déçus du Marché si vanté : il n’a pas grand chose à voir avec un marché hormis quelques étals et boutiques. Les boutiques artisanales proposent, certainement, de belle choses, mais ce n’était pas notre jour de shopping, si ce n’est pour 500g d’olives sèches. À la sortie, nos oreilles sont saturés par le raffut que font des centaines d’oiseaux en train de battre le rappel du soir dans les dortoir que proposent trois grands arbres touffus à souhait. Ces petits à ventre jaune virevoltent dans le ciel, plongent dans un recoin de branches, en ressortent illico dans un concert de piailleries assourdissant.
Après le vénitien populaire, place maintenant au vénitien aristocratique dans le quartier de Topanas aux superbes hôtels particuliers : patios doucement éclairés par des lanternes en attente des clients qui viendront s’attabler ; escaliers intérieurs aux délicates ferronneries ; passages voûtés, petites places, escaliers, porches. Nous prenons notre temps, pris dans l’enchantement de l’obscurité qui s’est installée et de ce qui se montre à la lueur de lanternes ou d’une vitrine éclairée. Puis retour un peu mélancolique vers la voiture, tout en passant devant la masse formidable des anciens magasins de l’arsenal et de son bâtiment administratif dont la façade annonçait, à ceux qui le côtoyaient, la solennité de sa fonction de représentant des forces militaires de l’état central.
Regagnant notre hôtel, nous parcourons, une dernière fois, la large avenue côtière qui s’étend sur quelques kilomètres, jusqu’à la fermeture de la baie. Cette route est l’exemple de ce que peut donner un urbanisme entièrement voué au culte du tourisme : des deux côtés, ce ne sont que bâtiments destinés aux besoins, plaisirs, emplettes des amateurs de bains de mer ou de farniente, car la mer est là, aux pieds des bâtiments qui la longent d’un côté tout en bordant le bitume de l’autre. En effet, la route et ses bâtiments latéraux occupent l’étroite bande plate littorale qui précède les immédiates pentes montagneuses. À la nuit tombée, nous en voyons un exemple éclatant d’électricité. Quant à voir la mer si proche, cela n’est possible qu’une fois que l’on aborde la montée de la corniche.