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Vouves et son olivier millénaire
Nous garons la voiture dans une rue en contrebas de la place principale, puis nous grimpons vers icelle. Un grand soleil moire de ses rayons le feuillage de l’olivier millénaire auquel l’agence nous a proposé de rendre visite. Impossible à rater ! Il arbore le tour de taille impressionnant d’une énorme matrone au nombreux bourrelets et aux pieds déformés par la vieillesse. Mais comme souvent avec les vieilles matrones, il ne faut pas se fier à l’âge car il leur reste une énergie, une verdeur qui en impose même aux plus moqueurs. De même, cet olivier, malgré ce tronc torturé qu’il doit peut-être aux multiples tailles subies, lève des branches que les ans n’ont pas fait ployer. Solide il est, solide il reste. La preuve ? Il produit encore des fruits. Par l’analyse des cernes de son bois, les spécialistes ont démontré qu’il avait au moins deux mille ans. Comme il n’y a plus de cœur en son tronc, il n’est pas possible de faire une datation plus précise par radio isotope.
Après avoir présenté mes hommages les plus respectueux au vénérable vieillard, je m’approche du muret de pierres qui délimite la place et surplombe le paysage maintenant classique pour nous d’une pente abrupte, versant d’une vallée étroite plantée d’oliviers sagement alignés qui dialoguent avec ceux tout aussi sages du versant d’en face. Je rejoins Daniel qui est déjà entré dans le musée-boutique et muse en curieux autour de la pièce pour, au final, acheter une bouteille d’huile. Sur le seuil, je m’arrête pour admirer la planche à égrainer les céréales, bien cirée, aux silex brillants. Immédiatement, un monsieur s’approche pour m’expliquer avec précision le maniement de l’engin. Gentillesse crétoise et courtoise !
Mikhail Arkhangelos à Kato Episkopi de Kissamos (Rotonda)
À peine étions-nous repartis que nous submergeaient les trombes d’eau. Voiture vite embuée. Mais où est le bouton de désembuage ? Où se trouve c’te fichue manœuvre ? Je cherche et délaisse Google maps qui, indifférent à nos démêlés techniques, continue à dérouler son fil imperturbable. Je lui prête enfin une attention à retardement pour constater l’annonce d’un nouveau calcul. Y a un embranchement que nous avons loupé, ce qu’atteste la route étroite et pentue sur laquelle nous sommes engagés. J’annonce la nouvelle avec une certaine crainte des foudres maritales. Qu’à cela ne tienne, mon époux est dans l’humeur nomade d’un explorateur ! On s’arrête donc sous les seaux d’eau lancés par les ménagères du ciel et… on trouve le bouton de désembuage. Je déroule la carte routière pour faire le constat des dégâts d’itinéraire. Daniel se penche : « Oh ! Tu vois ce point : il est recommandé par le Cartoguide. Tiens ! regarde cette petite pancarte là-bas ! Je suis sûr qu’elle indique le chemin.» Il faut avoir de bons yeux pour la repérer même à courte distance par temps clair. Alors, quand elle est voilée par des rideaux d’eau… Bravo Daniel !
Un coup d’oeil sur mon e phone me donne le plaisir de constater que, cette fois, notre guide électronique est en échec. Il s’empêtre avec acharnement dans un recalcul d’itinéraire interminable et, apparemment, impossible (normal ! je ne vois vraiment pas où pourrait se trouver, dans ce recoin de montagne, un rond point propre à ces demi-tours qu’affectionne cette intelligence artificielle). La laissant mouliner désespérément, nous sommes allés à la rencontre de Saint Michel Archange et de sa rotonde. Quel site, quel décor alentour ! Ça valait le détour ! Ça valait tellement le détour que la pluie s’arrête au moment où nous garons la voiture, et c’est un rayon de soleil joyeux qui salue notre arrivée. Gentillesse crétoise, gentillesse courtoise !
Ici, l’allure trapue et austère du monument m’évoque les églises romanes de l’Auvergne. Architecture et environ-nement compris. Pour nous deux, un pan supplémentaire de l’histoire crétoise, un panneau explicatif très bien fait, de belles photos des fresques. L’une d’elles portent les traces martelées du passage d’iconoclastes des 8ème-9ème siècles : nous avons compris le confort moral apporté par la généralisation des icônes portatives. Des photos montrent le sol en mosaïque de cailloux blancs et noirs qui dessinent des feuilles en forme de cœur, très semblables à celles de la salsepareille. Profitant d’une accalmie, nous sommes restés un moment, heureux de nous imprégner de ce lieu en pleine nature. Nous n’avons pas pu y entrer ? Pas grave : le lieu se suffisait à lui-même.
À l’origine simple baptistère, l’édifice date du 6ème siècle. Il est bâti sur le plan architectural des basiliques à dôme inventé à Byzance au 5ème siècle dont fort peu d’exemples se trouvent en Crète. À dire vrai, il est unique, étant le seul qui subsiste des églises de la première époque byzantine. Sa rotonde formée de cinq anneaux concentriques est très caractéristique et, d’après un spécialiste, très rare dans l’architecture byzantine, en général. Les autres basiliques de l’île datent de la deuxième période byzantine et possèdent un dôme qui s’élève au-dessus du toit, alors qu’ici la rotonde et le toit font un. Les dômes des basiliques plus récentes annoncent ceux, plus élaborés, que nous avons vu à Tzagarolon et que nous verrons à notre étape suivante. Son plan d’origine est un cercle inscrit dans un carré. Par la suite, lui furent adjointes deux chapelles sur les côtés. Lorsque l’évêché de Kissamos y fut transféré, les bâtiments nécessaires à la nouvelle affectation du lieu furent ajoutés à l’existant. Leurs murs sont agrémentés de décors en briques qui leur confère une sobre élégance.
Au chapitre III de son ouvrage, Les Iles de l’empire Byzantin, une chercheuse française, Mme Isabelle Malamut, a fait le constat que nombre des villages appelés « Episkopi » ont des basiliques paléochrétiennes du 6ème siècle, ce qui montrerait qu’il y eut, à cette époque-là, abandon de villes prospères qui auraient ensuite été réoccupées lors de la seconde période byzantine. Ainsi, « lors des transferts d’évêchés, on assiste simultanément à la mort ou à la décadence de cités paléo chrétiennes et à la naissance de villes dont la fonction première était administra-tive… Sur les sites des anciens évêchés désaffectés, la vie pouvait s’éteindre complètement, ainsi à Elfteherna. » D’autre part, la construction au 10ème s. d’une seconde église en contrebas, dite Hagios Geôrgios, montre que l’administration byzantine confirma l’implantation de l’évêché à cet endroit. Mme Malamut émet donc l’hypothèse qu’il y aurait eu un transfert provisoire de l’évêché de Kissamos, bien avant la reconquête, transfert nécessité par une destruction de la ville du fait des Sarrazins. À la fin du 10ème s. ou au début du 11ème s., l’antique Kissamos fut réoccupée. « Il semble que le transfert des anciennes villes paléochrétiennes à quelques kilomètres en retrait des côtes ait été caractéristique de la Crète byzantine. » Les deux églises d’Episkopi Kissamos sont typiques d’une époque où furent construites maintes petites églises en place des grandes basiliques d’antan que finançaient des cités pros-pères. Petites églises d’initiatives locales aux moyens modestes.
Le siège de l’évêché demeura ici jusqu’au 16ème siècle, période où l’administration vénitienne décida de le transférer à Kissamos-ville pour en faire un évêché latin dont dépendait tous les établissements orthodoxes.. Contrairement à ce que nous connaissons des évêchés en France, celui que nous venons de visiter, comme la plupart des lieux crétois où furent transférés leurs sièges, ne correspond en rien à une ville : ce sont des villages qui ne sont nullement différents des autres, en dehors du fait qu’y résidait une administration ecclésiastique. « Les bourgades, centres ecclésiastiques ou même administratifs d’une région, qui sont démographiquement et écono-miquement comparables à de petits villages, sont extrêmement répandues dans le monde insulaire méso byzantin. » Khania en fut un autre exemple. À l’arrivée des Ottomans, le siège épiscopal revint à nouveau ici et y demeura jusqu’au 19ème s. Par la suite, l’église « rotonda » devint le lieu de culte de la paroisse. Chaque année, au mois d’août, s’y déroule la cérémonie d’offrandes à Saint Michel-Archange des produits issus des cultures. Elle est suivie d’une grande fête populaire.
Kolomvari – Moni Gonias Odigitria
Une fois le demi-tour accompli, Google maps a, de nouveau, frétillé du museau, ou plutôt de la flèche, mais nous avons trahi sa bonne volonté en nous accordant un détour par Kolomvari. D’abord, je voulais m’attarder au bord d’un petit port de pêche tranquille, ensuite Daniel voulait compléter sa connaissance des monastères pour lesquels Konstantinos nous avez mis en appétit. Première halte donc aux abords d’un joli port sous une lumière qui semble d’autant plus violente qu’elle alterne avec une extinction voulue par des nuages qui se pressent de plus en plus nombreux. Je prends des photos du lieu et des couleurs changeantes des pierres et de l’eau au fil du combat qui se déroule dans le ciel. Daniel me prend le bras fermement. Il tient à visiter le monastère et ne veux pas être coincé dans la voiture sous la force d’une douche qui nous empêcherait d’en sortir. Bien vu ! Direction Moni Gonias. Juste le temps d’entrer dans la conciergerie / vente de billets et de souvenirs… Les ménagères du ciel recommencent à jeter leurs seaux à toute volée. J’admire leur ardeur au travail tout en les trouvant un brin brutales.
Pendant que mon époux patiente un peu, je commence à lire la salutation aux visiteurs : « Aux pieux Pélerins et Visiteurs. L’Higoumène et la Communauté de ce Saint et historique monastère vous accueillent avec amour et honneur et vous expriment leur joie pour votre visite dans ce lieu où Dieu est adoré et Marie, la très Sainte Mère de Dieu, glorifiée. » Merci pour ce rappel à tout visiteur qui prendrait la pose d’un esthétisme laïc un peu méprisant. Comme le ménage dans le ciel semble devoir durer, nous prenons notre élan et courons d’une traite vers l’entrée du Katolikon dont le porche offre son abri juste en face de nous. Nous allons avoir largement le temps de visiter l’édifice, d’admirer son iconostase, le lustre monumental du choeur, le petit lustre de l’entrée aux églantines de métal finement ouvragées. Le grand lustre se trouve sous le dôme central qui marque la séparation entre le choeur où se déroule la liturgie et le reste de l’église. Tout comme le petit lustre d’entrée, par sa place et par sa forme, il est commun à tous les lieux du culte orthodoxe (au moins monastiques, pour ce que nous en avons vu) : il occupe tout l’espace formé par le dôme, et sa magnificence contraste avec la plus grande modestie du petit lustre de l’entrée. Formé d’une bande polygonale de peu de largeur, en cuivre ou en laiton finement ciselé en dentelle, il est accroché par de nombreuses chaînes à la base du dôme qui l’illumine et le magnifie par ses ouvertures vitrées. Enfin, cela c’est pour les beaux jours et par les temps de grand soleil. Pour l’heure, la lumière chiche ne manifeste aucune envie de faire briller cet ouvrage des hommes. À chaque angle du polygone une icône en émail. Bien qu’en ayant vu quelques uns au cours de nos visites, je ne m’y étais pas attardée, alors que là, j’avais largement le temps de l’examiner. Toutefois, j’avoue que j’ai beaucoup plus apprécié le petite lustre de l’entrée dont les fleurs, largement utilisées dans l’iconographie des objets religieux crétois, m’ont rappelé que ce motif, je l’avais déjà vu à Iraklio sur des poteries minoennes qu’elles ornaient comme si elles étaient piquées dessus.
Durant notre étape dans le katholikon, j’ai le temps d’admirer ce qui est une autre caractéristique de ce monastère : partout, dehors et dedans, les sols sont agrémentés de mosaïques noires et blanches formées par des petites pierres bombées. Par exemple, devant l’iconostase et sous le grand lustre, un superbe aigle à deux têtes, emblème byzantin, orne le sol. Toutes ces mosaïques, rectangulaires ou rondes ont la particularité d’être toujours traitées comme des tapis avec motif central et bordure en guirlande… Ça y est l’orage est fini. Daniel est pressé de sortir. Auparavant, je m’attarde sur un tableau que je viens juste de remarquer : saint Vlassios en prière devant une immense roche nue qui représente le Mont Athos dont il implore la protection pour le monastère qui se presse, tout petit, à sa base sous la protection de l’icône de la Dame Odigitrias. Force et simplicité.
Moni Gonias Odigitrias, nous est donc apparu en plein contraste de lumière avec Tzagarolon. Le premier étalait ses coupoles et ses bâtiments sur fond d’azur sans tâche (même pas un nuageon follet). Le second fut abordé sous le noir des nuées. Au retour du soleil, nous avons continué la visite. Par rapport à Tsagarolon, il a la particularité d’être au bord de la mer. C’est ainsi que par un escalier, nous accédons au rempart qui la domine du haut de ses dix mètres sur le massif rocheux qui le porte. En effet, nous ne sommes pas ici dans un simple couvent, mais dans une forteresse aux murs épais qui devint, dès le 16ème siècle, un refuge contre les pirates. Les pirates, ils connaissaient, ceux qui choisirent de le construire à cet endroit. À l’origine, ils s’étaient établis à l’extrémité de la presqu’île de Rodopos, à l’emplacement d’un ancien temple de la déesse Dictyme (rebaptisé par la suite Vritomartis Artemis) sur un lieu sauvage et difficile d’accès, tout au bord de la mer. C’était au neuvième siècle à une période où ils vivaient paisibles, où ne rien ne laissait présager que des pirates, des musulmans irrespectueux, viendraient les troubler dans leur quiétude. Las des incursions, attaques, destructions, ils finirent par se replier plus au sud, à la racine de la péninsule, et toujours en bord de mer. Ils construisirent donc, au 13ème siècle, un monastère aussi modeste que le précédent et le consacrèrent de même à Saint Georges. Après l’édification du monastère actuel, ce bâtiment fut rasé et remplacé par le cimetière. C’est un moine de Chypre, Vlassios, qui commença, à partir de 1618, la nouvelle construction sur ce lieu où une vision de Marie l’avait amené. Terminé en 1637, le nouveau monastère fut, tout naturellement, consacrée à la Dame qui indique la voie (Hodigitria). Point commun avec Tsagarolon, c’est un membre de cette famille qui prit le relais de Vlassios pour terminer son œuvre. L’argent qu’y apporta cette famille fut complété par don important en terres qui assura la pérennité économique du monastère.
De sa construction à aujourd’hui, le lieu fut détruit six fois : cinq fois par les Turcs (dont trois fois au 19ème siècle) et, en 1941, par les Allemands qui en firent une base militaire, y établirent l’école militaire des cadets et mirent les moines en prison, histoire d’avoir la paix. Pour ce qui est des Turcs, un boulet de canon encastré dans le rempart face à la mer atteste qu’en juin 1867, les maîtres de l’île menèrent un bombardement en règle. La guerre, la guerre… C’est à Gonias que les Ottomans débutèrent leur conquête de l’île avant de mener le siège victorieux de Khania. C’est à Gonias, en 1897, que débuta la fin de leur règne, lorsque Timoleon Vassos, au nom du roi de Grèce, débarqua pour mener le combat qui aboutira au rattachement de la Crète à la Grèce. Dans l’enceinte de l’abbaye, il installa son quartier général. La guerre, c’est aussi cet hôpital qui fut créé pour soigner les combattants blessés. Outre le témoignage du boulet de canon sur les temps troublés vécus par les moines, la tour de l’entrée se souvient du pope Joannis Markakis : lui, sa famille et quelques hommes, s’opposèrent à une armée turque venue soumettre les moines à leur raison. C’est ainsi que le monastère « a été comme une mère pour le peuple soumis pendant l’occupation turque. Il a maintenu l’éducation grecque aux temps difficiles. Il a gardé allumée la flamme de la liberté et de la résurrection du peuple grec. Il a souffert avec son peuple les douleurs et les tentations.
Aujourd’hui, les moines continuent à être efficients dans la vie sociale comme enseignants, prêtres diocésains. Ils participent à diverses institutions dont l’Académie orthodoxe crétoise située tout à côté. Cette Académie s’est donné pour but d’être un lieu de rencontre des religions et des cultures, en plus d’un institut de théologie et d’écologie. Je la vois comme une continuité de cette école des Arts et des Lettres que l’higoumène Isaïe Diakopoulos ouvrit, en 1664, lorsqu’il obtint du patriarcat de Constantinople le statut de monastère dépendant directement de lui (stavropyge). Dans le musée que nous irons voir tout à l’heure, une vitrine abrite la charte en parchemin, long document qui se termine par une foule de signatures.
Allons au musée, justement. Après avoir descendu un large escalier de marbre qui nous conduit au sous-sol, nous parcourons des salles consacrées aux livres, aux icônes, aux objets de culte et vêtements sacerdotaux. Daniel, en bon intellectuel, s’attarde devant chaque livre. Quant à moi, en bonne fantaisiste, je grappille. Tiens ! Un livre écrit en caractères hébraïques : d’après ce que je comprends, c’est un calendrier pour l’année religieuse 1742-1743 du Talmud de Babylone. Oh ! L’arbre de Jessé en forme de vigne en espalier qui entoure l’ensemble de la page d’annonce d’un autre livre (1691). Plus loin, un autre livre, une autre vigne en espalier abondamment garnie de fruits : Pencostarion de 1757. Un atlas géographique de 1889 qui présente une carte l’Europe.
Alors que je suis dans la salle des icônes, Daniel me rejoint et attire, immédiatement, mon attention sur une Vierge à l’enfant qui l’émeut : la mère couve son enfant du regard, la tête penchée dans un joue à joue avec lui qui lève les yeux avec confiance et une petite interrogation comme les très jeunes enfants qui cherchent à s’assurer qu’ils sont aimés pour eux : « Panagia eleousa » –Très sainte Vierge de la compassion- fin 15ème siècle, indique le panonceau. Plusieurs fois, nous a été donné de voir des représentations de la Vierge de la compassion, mais c’est la première fois que nous la voyons sous cet aspect de confiance mutuelle et d’amour entre la mère et l’enfant, comme cela peut être dans la vie réelle. À mon tour de montrer une Vierge à l’enfant placée toute petite au centre du tableau qui foisonne autour d’elle de fleurs et de roses. Cette peinture du 15ème s. me rappelle certains tableaux flamands de la même époque. En bons Lorrains, nous faisons toujours une halte devant les représen-tations de Saint Nicolas, mais celui que je repère, de la deuxième moitié du 15ème siècle ne m’enchante guère car il est trop marqué par une certaine enflure maniériste. Ceci dit, ce que j’ai vu des œuvres de l’école crétoise a remporté mon adhésion.
Un tableau de Saint Constantin et de Sainte Hélène m’a fait pitié car les visages martelés faisaient penser à du Picasso greffé sur une œuvre ancienne. Au cours de notre voyage, il nous a été donné de voir plusieurs exemples d’un tel massacre pour ces deux saints. Quant à la parousie de saint Constantin, elle m’a plongé dans un abyme de perplexité. Le peintre a traité ce sujet comme s’il s’agissait du retour de Jésus lors du jugement dernier, comme si l’homme, tout empereur qu’il soit, avait le droit de faire la distinction entre les bons et les très méchants, à l’égal du fils de Dieu. Faire une telle apologie dans un tableau sacré destiné à instruire les religieux et les laïcs me semble vraiment fort peu orthodoxe d’un point de vue théologique. Cette œuvre de M. Papadopoulou (1792) distingue, d’un côté, la multitude des personnes bonnes et de l’autre dépeint avec moult détails réalistes, la chute aux enfers des quelques condamnés –dont des prélats– qui sont précipités dans le feu souterrain par des diables qui s’emparent de chacun sans aucun ménagement.
Avant de quitter ce lieu pour un pique-nique à proximité, nous avons fait une halte sous la treille en pergola qui arborait ses grappes charnues et colorés de jaune orangé. Un dernier coup d’oeil sur le port, bien à l’abri d’une véranda, où nous dégustons un dessert et un café… Google maps qui ne s’est pas formalisé de nos infidélités au parcours prévu nous conduits ensuite à Falassarna au trot allègre de nos chevaux mécaniques jusqu’au bout de l’île par une route sinueuse qui nous offre une vue panoramique sur la région.